Alors que le P. François du Penhoat achève son second mandat comme Supérieur Provincial de la Province de Lyon de la Société des Missions Africaines (SMA), il laisse derrière lui un héritage marqué par une passion missionnaire profonde, un leadership interculturel et l’exemple d’un guide spirituel. Ayant servi en France, en Espagne et au Bénin, son leadership ne s’est pas seulement illustré par des compétences administratives, mais aussi par un témoignage personnel de ce que signifie être et vivre en missionnaire dans le monde d’aujourd’hui. Dans un récent entretien, le P. François a partagé son regard sur les défis urgents auxquels l’Église et la SMA sont confrontées, offrant une sagesse nourrie par l’expérience et une vision portée par l’espérance.
Le cœur du problème
Le P. François aborde avec lucidité la crise actuelle des vocations, particulièrement en Occident. « La crise des vocations est le symptôme d’une crise plus profonde : celle de la foi », affirme-t-il. Selon lui, la société européenne moderne, engluée dans l’abondance matérielle, a souvent perdu de vue la faim spirituelle qui nourrit l’engagement religieux. Mais il garde espoir : « Ce n’est pas la première fois que l’Église traverse une telle crise — la France l’a connue après la Révolution aussi. »
Il souligne comment la présence des confrères africains en Europe peut insuffler une vie nouvelle à ce désert religieux. Leur spiritualité, profondément ancrée dans leur culture et leur quotidien, est un témoignage vivifiant. « Ils ont un sens de la présence de Dieu autour d’eux — quelque chose que nous, Français, devons retrouver », note-t-il, suggérant que le mouvement missionnaire doit aujourd’hui être un échange à double sens.
Foi, gratitude et gestion responsable
Durant son mandat, le P. François a été conscient des privilèges et des défis liés à la gestion financière. La province a été largement bénie par des héritages et des donations — « mais cela ne durera pas éternellement », prévient-il. Malgré le nombre réduit de donateurs, la générosité des individus reste constante. « Ce sont souvent les plus pauvres et les plus humbles — comme la veuve de l’Évangile — qui envoient leurs modestes offrandes. C’est très touchant. »
Il lie la stabilité économique à la vérité évangélique : « Mgr Assogba m’a un jour expliqué : “Si tu vis l’Évangile, tu ne manqueras jamais de soutien.” J’en suis convaincu. » Avec plus de 400 séminaristes en formation, jamais le besoin de solidarité, de prudence et d’une attitude de gratitude n’a été aussi grand.
Repenser la première évangélisation
Un des aspects les plus marquants de la vision du P. du Penhoat est son attachement à ce que la SMA appelle la « première évangélisation ». Alors que beaucoup pensent que l’Évangile a atteint tous les coins du monde, il rappelle qu’il reste des zones — notamment rurales ou dominées par l’islam — où la Parole du Christ n’a guère été annoncée.
S’appuyant sur les conclusions de l’Assemblée générale de la SMA il y a six ans, il souligne la nécessité de cibler délibérément ces « zones de première évangélisation ». Ces terrains de mission, souvent difficiles, isolés et pauvres en ressources, sont soutenus par la communauté internationale SMA, tant en personnel qu’à travers un fonds commun. C’est là que l’Église est encore dans son enfance, où chaque parole de l’Évangile est entendue comme pour la première fois.
Toutefois, il s’inquiète : certains jeunes missionnaires privilégient les villes et pourraient être moins enclins aux exigences spirituelles et pastorales de ces missions reculées. Il craint que l’évangélisation première — pourtant au cœur du charisme SMA — ne s’étiole si elle n’est pas activement encouragée. C’est pourquoi il plaide pour la formation et la promotion de missionnaires prêts à s’aventurer dans ces contextes avec zèle, simplicité et humilité.
Pour lui, la première évangélisation dépasse la géographie : c’est une question de méthode. En milieu urbain, par exemple, le défi n’est pas l’absence de foi, mais la confusion, un syncrétisme religieux mêlant superstition, magie et spiritualités éclatées. Là encore, le P. du Penhoat y voit une opportunité pour l’audace missionnaire. « L’évangélisation a besoin de nouvelles modalités de présence, de rencontres et de langages adaptés à la vie urbaine moderne. »
Quant aux paroisses des « zones bien chrétiennes », elles restent essentielles : elles fournissent vocations, ressources et énergie missionnaire. Plutôt que de les abandonner, il faut les revitaliser par un dynamisme missionnaire renouvelé, soutenant ainsi l’œuvre missionnaire globale.
Une vie spirituelle ancrée dans la mission
Pour le P. du Penhoat, aucune stratégie pastorale ne peut remplacer le fondement de la vie missionnaire : la sainteté et la profondeur spirituelle. « Nous pouvons maîtriser toutes les techniques de proclamation de l’Évangile, mais sans rechercher la sainteté, tout est vain. » Au cœur de son leadership se trouve cette conviction : l’évangélisation n’est pas une tâche, mais une vocation qui doit transformer le missionnaire de l’intérieur.
Son propre parcours en témoigne. Jeune missionnaire, il se tournait vers Dieu dans la confusion ou la souffrance, découvrant une force secrète en remettant sa journée entre Ses mains. Avec le temps, cela est devenu une habitude matinale : confier à Dieu les tâches de la journée. « Parfois, les choses ne se passent pas comme prévu — mais c’est toujours mieux que ce que j’imaginais », avoue-t-il avec une franchise désarmante. Cette foi en la Providence divine, vécue au quotidien, a guidé sa vie.
Il souligne aussi comment vivre humblement, en étranger dans une culture différente, peut transformer une spiritualité. « C’est en écoutant, en se laissant déplacer, que le missionnaire permet à l’Esprit Saint d’agir à travers lui. » Pour lui, la mission n’est pas une imposition, mais un témoignage, une incarnation de la présence de Dieu.
Il évoque aussi librement ses échecs, ses moments d’orgueil ou de manipulation, et la douleur d’apprendre que les bonnes intentions ne suffisent pas toujours. Ces blessures, loin d’affaiblir sa vocation, l’ont approfondie. « Quand je regarde en arrière, j’offre tout au Seigneur. Et je ressens la tendresse de Son pardon. »
Enfin, il voit le missionnaire comme un « disciple en formation » — constamment façonné par l’Évangile qu’il annonce. « La sainteté n’est pas la perfection, mais l’offrande de soi à Dieu et aux autres dans la vérité, l’humilité et l’amour. »
Un héritage en mouvement
Alors qu’il quitte le leadership de la Province de Lyon, le P. François ne laisse pas un plan rigide, mais un témoignage : celui d’une vie de confiance, de repentir et de joie dans l’Évangile. Son héritage ne réside pas tant dans ce qu’il a accompli, mais dans la manière dont il a invité les autres à vivre la vocation missionnaire avec courage, compassion et créativité.
Une Église en sortie
« Où que nous soyons, nous devons être une Église “en sortie”, aller vers les périphéries, rencontrer les gens là où ils sont, avec humilité et espérance. »
Ainsi s’achève cet entretien avec un homme dont la vie a été un mouvement permanent, géographique, spirituel et relationnel. Une inspiration pour tous ceux qui cherchent à vivre l’Évangile en missionnaires aujourd’hui.
Par Dominic Wabwireh
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