Alors que l’invasion russe de l’Ukraine se poursuit, une vague de soutien aux Ukrainiens a été observée dans une grande partie de l’Europe, de l’Australie et de l’Occident en général. Un soutien très différent de ceux que d’autres pays dans cette situation ont reçus ; Mettant ainsi en évidence le double standard de l’Occident.
Nous nous souvenons tous peut être du roman La Ferme des Animaux de George Orwell et de la fameuse proclamation des cochons contrôlant le gouvernement de la ferme: « Tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres. » Une affirmation très paradoxale : car égalité signifie que tous sont au même niveau. Il n’est en effet pas possible pour quelqu’un d’être « plus égal » que quelqu’un d’autre. Cela est juste en contradiction avec le concept d’égalité. Si certains sont « plus égaux », il s’ensuit que d’autres sont « moins égaux ».
Aussi contradictoire que cela puisse paraître, n’est-il cependant pas vrai que certains sont plus égaux que d’autres ?
Nous sommes tous témoins de l’horrible guerre qui se déroule en Ukraine. Il est malheureux de voir des gens perdre tous leurs moyens de subsistance et encore plus, perdre leurs vies. C’est navrant de voir tous ces enfants, victimes d’une telle cruauté. Il est regrettable qu’une telle chose se produise et encore plus qu’elle le soit dans ce millénaire où nous sommes censés savoir plus. Rien ne peut et ne doit justifier une guerre, surtout l’invasion d’un pays par un autre pays. Nous sommes déconcertés par une telle invasion : comment une telle chose est-elle possible ? Comment un pays indépendant peut-il envahir un autre ?
La façon dont la communauté internationale a réagi à cela est formidable.
Plusieurs pays ont condamné cette guerre. Des sanctions immédiates ont été prises visant les banques russes, les raffineries de pétrole et les exportations militaires. Il y a eu des réunions extraordinaires au Conseil de sécurité de l’ONU (CSNU).
Dans le vent des réactions, les clubs de football européens ont coupé les ponts avec les entreprises russes ; les organisations sportives ont déplacé leurs événements hors du pays. L’UEFA a transféré la finale de la Ligue des champions de Saint-Pétersbourg à Paris. La Pologne et la Suède ont annoncé leur refus de jouer contre la Russie lors des éliminatoires de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Une décision applaudie par le président Polonais Andrzej Duda qui a écrit sur Twitter : « on ne joue pas avec des bandits ! »
Au niveau médiatique, tous les titres et focus sont tournés vers la guerre russo-ukrainienne.
Le Covid-19 qui était il n’y a pas si longtemps le sujet principal sur toutes les lèvres a désormais fait place à cette guerre. Pas un jour ne passe sans qu’on parle de la guerre russo-ukrainienne. Moins d’un jour après que la Russie ait envahi l’Ukraine, nous avions déjà plus d’informations qu’en une semaine nous en avions eu avec la guerre en Irak. La guerre russo-ukrainienne pourrait être en effet considérée comme l’une des guerres les plus documentées de l’histoire de l’humanité, compte tenu de la quantité de vidéos et d’articles circulant sur le web et de l’attention médiatique dont elle fait l’objet.
Toutes ces actions montrent comment notre société est sensible aux souffrances des autres, et le désir profond de notre monde à lutter et éradiquer toutes formes de violence, à créer une société où règne la paix et l’amour. Et l’on ne peut que se réjouir de tels actes.
En même temps que nous nous réjouissons de telles bonnes actions vis-à-vis des affres de cette guerre, il convient de nous arrêter et de nous demander si la guerre russo-ukrainienne est la seule guerre en cours dans notre monde aujourd’hui ? L’Ukraine est-il le seul pays envahi par une superpuissance ? Les réfugiés de cette guerre sont-ils les seuls réfugiés que nous ayons dans notre monde aujourd’hui ? Les autres victimes de guerre sont-elles moins humaines que les victimes ukrainiennes ?
Les Palestiniens, Yéménites, Afghans, Irakiens et Syriens doivent se demander ce qu’ils doivent faire pour rendre leurs souffrances aussi immédiates que celles des Ukrainiens.
En effet, on ne peut que froncer les sourcils devant l’absence de réactions similaires face à d’autres conflits à travers le monde. On pourrait citer le cas de la Lybie, de la Palestine, de l’invasion de l’Irak parmi tant d’autres où les réactions étaient tout autres.
Le volume de couverture médiatique dont joui la guerre en Ukraine représente en soi un double standard par rapport à l’attention relativement faible que les médias accordent au conflit dans des endroits comme celui de la région éthiopienne du Tigré où une guerre fait rage depuis 2020 ; ou à la crise djihadiste au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Nigeria, pour ne citer que ceux-là. Et la chose la plus épouvantable est que lorsque des choses impensables se produisent dans des endroits comme sur le continent africain, elles sont généralement rapportées en termes de problèmes, de chiffres et de tendances plutôt qu’en termes de personnes, d‘émotions et de vies détruites.
Une autre chose qu’on peut aussi qualifier de double standard est, la décision de la FIFA de suspendre la Russie de la compétition internationale. Une décision qui rompt avec une tradition d’inaction de l’instance dirigeante du football face aux manquements éthiques des États membres.
En effet, la FIFA n’a pas donné suite aux appels persistants à suspendre Israël pour son traitement des Palestiniens. De même, face au traitement réservé par la Chine à sa population ouïghoure, il y a eu des manifestations d’appel à la censure de l’équipe nationale chinoise, appels que la FIFA a ignorés. Pour justifier son refus d’agir dans ces cas de figure, la FIFA invoque le principe selon lequel le sport ne doit pas être politique. Pourtant, il en a été autrement avec l’Ukraine.
En outre, la manière même dont notre monde aborde une tragédie diffère d’une région à une autre.
Cela se voit parmi les nombreuses interventions médiatiques concernant la guerre russo-ukrainienne :
Un correspondant de CBS News à Kiev, Charlie D’Agata, affirmait par exemple : «Ce n’est pas un endroit, avec tout le respect que je vous dois, comme l’Irak ou l’Afghanistan qui a vu des conflits faire rage pendant des décennies. C’est une ville relativement civilisée, relativement européenne – je dois aussi choisir ces mots avec soin – une ville où vous ne vous attendriez pas à cela, ou vous n’espériez pas que cela se produise. »
La question est : les Irakiens ou les Afghans ou les non-Européens sont-ils moins humains, puisqu’ils sont considérés comme inférieurs – « non civilisés » ?
Il y a aussi l’ancien procureur général adjoint d’Ukraine, David Sakvarelidze, qui a déclaré :
« C’est très émouvant pour moi parce que je vois chaque jour des Européens aux cheveux blonds et aux yeux bleus se faire tuer avec les missiles de Poutine, ses hélicoptères et ses roquettes. »
Est-ce moins émouvant de voir des non-Européens, avec les yeux bruns et les cheveux noirs, être tués ?
De plus, on ne peut que noter le changement radical de ton concernant les réfugiés ukrainiens par rapport aux autres réfugiés. Cela s’est particulièrement fait ressenti avec des états qui sont passés de « Nous n’allons laisser entrer personne » – après que la Cour européenne de justice ait statué que la politique d’asile de ces pays contredisait le droit de l’UE – à « Nous laissons entrer tout le monde », se référant aux Ukrainiens. Des pays qui hier fermaient leurs frontières a des réfugiés, les ouvre toute grande à d’autres réfugiés. Pourquoi une telle attitude? Qu’est-ce qui n’a pas marché? – dirait-on en language ivoirien.
L’on pourrait dire que le problème est plus complexe que cela.
On peut aussi dire que ces ouvertures envers les réfugiés fuyant la guerre ukrainienne pourraient être enracinées dans les implications géopolitiques et la proximité géographique de cette crise, par opposition aux conflits sur d’autres continents. Cependant, des informations ont fait état de traitements différents envers des groupes spécifiques de réfugiés fuyant l’Ukraine. Les Africains, par exemple, ont du mal à passer les frontières ; suscitant la réaction de l’Union Africaine qui a appelé tous les pays à « montrer la même empathie et le même soutien à toutes les personnes fuyant la guerre, quelle que soit leur identité raciale ».
Qu’est-ce que ces choses disent de nous ?
Tous ces faits et déclarations montrent à quel point nous sommes encore loin d’incarner réellement l’article 1er de la déclaration universelle des droits de l’homme stipulant que tous les humains naissent égaux.
Ils montrent comment des années de déshumanisation ont rendu la mort de personnes en Afrique, au Moyen-Orient plus tolérable.
Ils montrent que les ressortissants européens sont traités avec beaucoup plus de compassion. Le même traitement devrait être accordé à tous les réfugiés et aux individus en général. La compassion doit être suscitée en réponse à toute souffrance humaine.
Ils montrent aussi combien nos réactions sont encore liées à notre origine géographique et à notre milieu, et peut-être encore à nos races. Avec cela, il y a le danger de devenir insensible à la souffrance de peuples de différentes couleurs, de différentes régions, en particulier les personnes qui se trouvent dans des zones de guerres, et de ne pas voir la souffrance des autres au même niveau que celle de ceux qui sont proches de nous.
Nous ressentons le plus d’empathie pour ceux qui nous ressemblent le plus, mais nous devons nous rappeler que ces perspectives sont limitées.
Ces faits et déclarations montrent le poids de l’Occident dans la politique mondiale; et montrent ainsi donc comment l’Occident n’ a pas eu le discernement qu’il fallait dans sa gestion des crises dans des endroits comme l’Orient et l’Afrique.
En somme, ces faits et déclarations montrent le double standard de l’Occident.
Et c’est ce double standard que nous dénonçons. Nous ne le dénonçons pas en vue de créer une certaine haine envers l’Occident ou bien en vue de remuer le couteau dans la plaie de ceux qui se sentent lésés mais en vue d’attirer notre attention à tous, pour ne pas que dans notre élan, notre désir de créer une société plus juste, plus paisible, où tous sont égaux, d’autres fossés viennent s’installer.
Rappelons-nous la fin du Roman cité plus haut, La Ferme des Animaux : Dans leur désir de créer une société plus juste, les animaux de la ferme se sont retrouvés à la fin dans une situation tout aussi tragique que l’état dans lequel ils se trouvaient au début.
Pour un tant soit peu éviter une telle fin dans notre élan de créer une société plus juste, il est vraiment essentiel que nous examinions ce double standard et nous nous demandions pourquoi en est-il ainsi.
Peut être à un niveau plus personnel, il conviendrait de nous demander si nous n’avons pas nous-mêmes des doubles standards dans nos rapports avec les autres? N’existe t-il pas dans notre église des doubles standards? N’existe t-il pas dans notre société, la SMA, des doubles standards?
Quoi qu’il en soit, nous sommes tous opposés à la guerre, et cela est bien. Et en ce sens notre désir de la combattre et de soutenir les victimes devrait être la même pour tous, quelle que soit la nationalité, la race, la religion ou la tribu.
L’accueil que nous faisons aux Ukrainiens, le soutien que nous leur apportons, devraient être les mêmes pour tous.
Le chagrin et le désespoir que nous ressentons pour l’Ukraine devraient être identiques au chagrin et au désespoir que nous ressentons pour le Yémen, la Palestine, la Syrie, la Lybie, le Nigeria, le Mali.
Non, au « deux poids deux mesures.
Brice Ulrich AFFERI
Laisser un commentaire