Dialogue entre chrétiens et musulmans à la lumière de Nostra Aetate, c’est le sujet qui sera dévélopé dans cet article. Nostra Aetate est un des seize documents du concile Vatican II. Il fait partie des documents conciliaires appelés Déclaration.
Celle de Nostra Aetate porte sur les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes. C’est pourquoi, cette déclaration
Nostra Aetate
· 1. Le contexte historique
Nostra Aetate est un des seize documents du concile Vatican II. Il fait partie des documents conciliaires appelés Déclaration. Celle de Nostra Aetate porte sur les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes. C’est pourquoi, cette déclaration apparaît sous le titre originel de Déclaration de Ecclesiae habitudine ad religiones non christianas dont le titre en français est : L’Eglise est les religions non-chrétiennes. Cette Déclaration a été promulguée le 28 octobre 1965 sous le sceau du pape Paul VI et sous l’impulsion du Cardinal Béa.
La déclaration Nostra Aetate s’inscrit dans un contexte de renouveau et d’aggiornamento de l’Eglise catholique. L’Eglise en envisageant le concile Vatican II, se trouve au cœur d’autres religions qui cherchent le salut. Ainsi
Dans le monde actuel, le christianisme apparaît de plus en plus comme une religion au milieu de beaucoup d’autres et qui n’a même pas l’avantage de constituer le plus grand nombre.1
Face à cette diversité de religions, l’Eglise est dans une situation où le monde et les mentalités ont changé. L’Eglise n’est plus dans cette sphère où elle se considère détenteur du monopole du salut de l’homme comme au temps de Vatican I. L’Eglise n’est plus renfermée sur elle-même à cause de cette conception de Vatican I: hors de l’Eglise, point de salut. Cette conception expliquait que
Personne ne peut être sauvé, si grandes soient ses aumônes, même s’il verse son sang pour le nom du Christ, s’il n’est pas demeuré dans le sein et dans l’unité de l’Eglise catholique.2
C’est dans un esprit de conversion de l’Eglise que Nostra Aetate a été produit. Cette conversion fut le fruit de la reconnaissance des autres religions comme portant en eux des semences de vérité divine. Le concile Vatican II déclarait d’ailleurs que
l’Eglise ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans les autres religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines,… 3
En effet, l’Eglise est arrivée à un niveau où elle a la pleine conscience de vivre avec des personnes d’autres religions.
Nostra Aetate affirme que
tous les peuples forment en effet, une seule communauté ; ils ont une seule origine puisque Dieu a fait habiter en toute la race humaine sur la face de la terre, ils ont aussi une seule fin dernière, dont (…) les desseins de salut s’étendent à tous …4
Dans l’historique de cette déclaration, il ne s’agissait pas de prime abord, d’une déclaration concernant les religions non-chrétiennes; loin même de parler de l’islam. D’abord le pape Jean XXIII avait annoncé le 25 janvier 1959 avec trois projets où il ne figurait aucun élément sur les rapports de l’Eglise avec les autres religions du monde. Les trois projets du concile étaient: Synode pour le diocèse de Rome, concile œcuménique, réforme de droit canonique
5. Ce fut grâce à la visée au concile œcuménique que la Déclaration Nostra Aetate a pu voir le jour. En effet, à la phase antépréparatoire du concile (17mai 1959-5juin 1959), il fut créé un secrétariat pour l’unité des chrétiens présidé par le Cardinal Bea. Ce secrétariat, est un organisme de dialogue avec les chrétiens séparés
6. Aucune commission n’a été assignée aux relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes.
Cependant l’idée de Nostra Aetate va commencer à germer à la phase préparatoire (14 novembre 1961-11 octobre 1962). A cette phase, le papa Jean XXIII recentre l’objectif du concile qui consistera à revaloriser la substance de la pensée et de la vie humaine et chrétienne
7. En effet, le pape avait été marqué par la souffrance des juifs pendant la seconde guerre mondiale. Il était dévoué à la cause des juifs à Istanbul et ailleurs8. Sa compassion et ses visites aux juifs a suscité différentes organisations juives à rencontrer le pape pour le remercier. A cet effet, le pape a envisagé un Décret sur les juifs. Il confia la tâche au Cardinal Bea chargé du secrétariat pour l’unité des chrétiens. Le pape voulait ainsi invité les chrétiens à changer d’attitude dans leur rapport aux juifs. En effet, les juifs étaient considérés comme des déicides, responsables de la mort du Seigneur Jésus-Christ. Les juifs aussi soupçonnaient l’Eglise de s’être compromise avec le nazisme lors de la seconde guerre mondiale. Après cette guerre, des juifs conjuguent des efforts … pour ramener le concile à professer publiquement et d’une manière solennelle que la mort du Seigneur ne doit pas être attribuée au peuple juif comme tel
9. De façon concrète, Jules Isaac et une délégation juive rendent visite au pape le 17 octobre 196010 pour lui demander de mettre un terme à l’enseignement de mépris des juifs dans la catéchèse, la liturgie et de la prédication
11. Tous ces évènements justifient la volonté du pape de produire un Décret sur les juifs dont la charge fut confiée au Cardinal Bea. Ainsi celui-ci expliquait dans la présentation de Nostra Aetate que Au début, en effet, il ne s’agissait que d’une courte déclaration sur l’attitude des chrétiens à l’égard des juifs
12.
Comment ce qui n’était qu’un simple projet de Décret sur les juifs a pris l’allure d’une courte déclaration pour s’étendre, dans sa version finale aux musulmans dans une Déclaration?
Le texte sur les musulmans a été élaboré dans un climat de pressions politiques sur le concile. En effet, au moment de la préparation et des consultations sur le texte, sur les relations de l’Eglise avec les juifs, des rumeurs des pays arabes13 couraient que le concile élaborait un texte sur la question de la légitimité de l’État d’Israël. Ainsi pendant la préparation, le Cardinal Bea s’interrogeait :
Etait-il possible d’éviter tout malentendu et d’écarter d’emblée l’impression, qui fut celle de certains gouvernants du Moyen-Orient ; que l’enjeu principal de la Déclaration était la reconnaissance politique de l’État d’Israël. 14
A ces rumeurs sur le décret sur les juifs, le Cardinal Bea expliquait fermement que le problème que veut résoudre ce décret était purement religieux et non politique :
le problème est strictement d’ordre religieux ; le décret s’adresse aux catholiques pour leur enseigner l’attitude qu’à l’imitation du Christ, ils doivent avoir à l’égard des juifs.15
Mais l’inquiétude des Pères conciliaires demeurant sur la portée de ce décret, il fallait étendre le texte aux autres religions non-chrétiennes. Car dans les lieux où les chrétiens seraient en minorités, Les partis opposés ne manqueront pas de l’utiliser à des fins politiques
16. Du fait que les chrétiens et les juifs ne vivent pas seulement en Israël ; et qu’ils peuvent se trouver partout dans le monde au milieu d’autres religions, le concile se devait d’étendre l’attitude des chrétiens aux autres religions non-chrétiennes.
Le concile avait donc conscience de la réalité de la pluralité religieuse dans laquelle vivait son Peuple. Le pape Paul VI, nouveau président du concile, était persuadé de ce pluralisme lors de son voyage en Terre Sainte17 où il avait eu l’occasion de s’adresser à des non-chrétiens. Le pape crée un nouveau secrétariat qui sera chargé spécialement des relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes. Ce secrétariat crée le 17 mai 1964 est confié au cardinal Marella. Il aura la charge de travailler dans la direction donnée par l’encyclique Ecclesiam suam du pape Paul VI. Cette encyclique avait déjà le vocabulaire du dialogue de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes. Et s’adressant particulièrement aux adorateurs de Dieu selon la conception monothéiste, et aux fidèles des grandes religions afro-asiatiques18. La déclaration qui allait donc être élaboré à l’issue de ce concile s’inscrivait déjà dans un contexte de dialogue avec les religions non-chrétiennes.
Nostra Aetate fut une Déclaration promulguée une vingtaine d’années après la seconde guerre mondiale. Ce fut dans un contexte où les progrès techniques battaient leur plein pour la reconstruction. Aussi fut-il une époque où les peuples cherchent des repères pour mieux vivre ensemble dans le respect de la dignité de l’homme.
Nous pouvons conclure que la Déclaration Nostra Aetate n’était pas un objectif dans les projets du concile. Mais suivant le cours des évènements lors du déroulement du concile, l’Esprit Saint a suscité ce document conciliaire. Sa naissance a été provoquée par les religions non-chrétiennes elles-mêmes, par leurs différentes préoccupations soumises au concile. Quelle est donc la visée de Nostra Aetate dans la version finale comme Déclaration ?
· 2. La visée de Nostra Aetate
Nostra Aetate comporte cinq paragraphes qui définissent sa portée. Nous avons une introduction qui stipule que le genre humain forme une seule communauté, créée par le même Dieu. Cette unique parenté divine donne à tous les peuples la même destinée, celle d’être réunis dans la Cité sainte
19. Ayant cette même destinée eschatologique, tous les peuples de la terre doivent chercher à vivre ensemble. En effet, cette introduction
signale le phénomène de l’unification du monde actuelle par le développement des liens et des relations entre les hommes, entre les peuples 20
Ensuite, Nostra Aetate se prononce sur les diverses religions non chrétiennes, nommant principalement l’hindouisme et le bouddhisme. L’Eglise trouve dans ces religions des valeurs nobles spirituelles et morales qui édifient la personne humaine face à Dieu. Ces valeurs sont les manières d’agir et de vivre, les règles et les doctrines21 de ces religions. Vu donc ces valeurs communes, l’Eglise s’ouvre à la rencontre de ces religions pour l’édification commune de l’homme dans la vision de Dieu. Ainsi, l’Eglise « exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par la collaboration avec ceux qui suivent d’autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétienne, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux.22
Aussi Nostra Aetate se penche sur la relation des chrétiens avec le peuple de l’Ancien Testament; le peuple juif. D’abord, la déclaration reconnaît les liens d’unité que les chrétiens ont avec le peuple juif. En effet, l’Eglise tient les racines de sa foi dans la révélation23 de l’Ancien Testament. Ainsi, l’Eglise étant confrontée à la polémique du crime de déicide attribué aux juifs, Nostra Aetate dans sa visée entend encourager entre les chrétiens et les juifs, la connaissance et l’estime mutuelles, l’échange des études bibliques et théologiques ainsi que le dialogue fraternel24.
Après avoir évoqué l’invitation des chrétiens à s’ouvrir aux autres religions et aux juifs dans le respect et le désir de connaissance mutuelle, nous nous attardons maintenant sur la relation des chrétiens avec musulmans. En effet, la visée de la Déclaration Nostra Aetate s’oriente aussi vers la relation des chrétiens avec les musulmans. Comment Nostra Aetate procède pour inculquer aux chrétiens l’ouverture aux musulmans? Nostra Aetate décrit d’abord ce qui fonde la religion musulmane. La déclaration veut montrer les caractéristiques de la religion musulmane qui s’apparentent à celles du christianisme. Dans cette description, il ressort que la religion des musulmans est un monothéisme tout comme le christianisme. Le point commun de ce monothéisme est certes celui de se réclamer d’un seul Dieu, mais plus précisément du Dieu d’Abraham. En effet, la déclaration reconnaît et affirme que les musulmans
adorent le Dieu Un, vivant, et subsistant, miséricordieux et tout puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes25.
Outre cette parenté commune, la déclaration présente les grandes pratiques religieuses des musulmans que sont la vie spirituelle et la vie morale qui élèvent l’homme à Dieu.
Fort de cette paternité divine et de ces valeurs communes, Nostra Aetate
invite enfin chrétiens et musulmans à dépasser leurs sentiments, enracinés dans le passé, pour se comprendre et travailler ensemble à faire progresser toutes les valeurs morales et sociales qu’ils partagent en commun 26.
Sur cette invitation, Nostra Aetate engage chrétiens et musulmans sur la voie de la promotion de la justice, des valeurs sociales, de la paix et de la liberté27.
Enfin la déclaration Nostra Aetate se conclut sur un appel à la fraternité universelle, gage de la construction d’un monde de justice, de paix et de liberté. Pour Nostra Aetate, cette fraternité se construit sur le dialogue et la collaboration entre les membres des différentes religions. En effet, par cette fraternité, la déclaration vise au bannissement de toute discrimination entre différentes religions. Cette discrimination détériore la dignité de l’homme et bafoue ces droits tant spirituels qu’humains.
Alors Nostra Aetate invite tous les humains, surtout les chrétiens, à voir en toute personne humaine l’image de Dieu. Ainsi, l’ultime visée de Nostra Aetate s’exprime en ces termes : le concile
… adjure ardemment les fidèles du Christ d’avoir au milieu des nations une belle conduite
(1Pierre, 2, 12). Si c’est possible, et de vivre en paix, pour autant qu’il dépend d’eux, avec tous les hommes, de manière à être vraiment les fils du Père qui est dans les cieux28.
En définitive, nous pouvons dire que Nostra Aetate initie l’esprit de la recherche du bien commun entre les chrétiens et les autres membres des religions non chrétiennes à travers le dialogue dans la collaboration. En effet, les chrétiens doivent désormais cheminer avec les hommes des autres religions car, partageant les valeurs fondamentales qui animent la vie de tout être humain. Ainsi, selon Lichtenberg, Nostra Aetate constitue Une nouvelle charte de l’attitude chrétienne à l’égard des fidèles des autres religions
29. Cette charte, selon Nostra Aetate, s’accomplit dans un dialogue qui ne pourra être effectif que par la compréhension mutuelle, l’estime de l’autre, et l’amour fraternel.
Jean Paul Silué, sma
——————-
Notes de bas de page
1. G. M.-M. COTTIER, e.a, Vatican II, Les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes, Déclaration Nostra Aetate
, sous la direction de A.-M. Henry, Coll. Unam Sanctam, Paris, Cerf, 1966, p. 13.↩
2. DENZINGER, Symboles et définition de la foi catholique n° 1351, Cerf, 1996, Decret du 4 février 1442, pp. 387-388, in Esprit et Vie
, n° 240 octobre 2011 Nostra Aetate, reconnaître la foi de l’autre en soi, par le P. Christian SALENSON, p. 2.↩
3. VATICAN II, Nostra Aetate, 1967, N°2.↩
4. VATICAN II, Nostra Aetate, 1967, N°1.↩
5. René LAURENTIN, Enjeu du concile, Paris, Seuil, 1961, p. 97.↩
6. Idemp.112.↩
7. Idemp.133.↩
8. G. M.-M. COTTIER, e.a, Vatican II, Les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes, Déclaration Nostra Aetate
, sous la direction de A.-M. Henry, Coll. Unam Sanctam, Paris, Cerf, 1966, p. 12.↩
9. Idemp.57.↩
10. Christian SALENSON, (Père), Nostra Aetate, reconnaître la foi de l’autre en soi, in Esprit et Vie
N°↩
11. Ibidem.↩
12. G. M.-M. COTTIER, e.a, Vatican II, Les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes, Déclaration Nostra Aetate
, sous la direction de A.-M. Henry, Coll. Unam Sanctam, Paris, Cerf, 1966, p. 37.↩
13. Idemp.40.↩
14. Idemp.38.↩
15. Idemp.41.↩
16. Idemp.46.↩
17. Idemp.48.↩
18. PAUL VI, Ecclesia suam Vatican II, Les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes, Déclaration Nostra Aetate
, sous la direction de A.-M. Henry, Coll. Unam Sanctam, Paris, Cerf, 1966, p. 54.↩
19. VATICAN II, Nostra Aetate, 1967, N°1.↩
20. J.-P. LICHTENBERG, Le concile dans la vie, L’Eglise et les religions non-chrétiennes
Casterman-Paris-Tournai, Salvator-Mulhouse, 1967, p. 35.↩
21. VATICAN II, op.cit, N°2. ↩
22. Ibidem ↩
23. VATICAN II, Nostra Aetate, 1967, N°4. ↩
24. J.-P. LICHTENBERG, Le concile dans la vie, L’Eglise et les religions non-chrétiennes
Casterman-Paris-Tournai, Salvator-Mulhouse, 1967, p. 36. ↩
25. VATICAN II, Nostra Aetate, 1967, N°3. ↩
26. J.-P. LICHTENBERG, Le concile dans la vie, L’Eglise et les religions non-chrétiennes
Casterman-Paris-Tournai, Salvator-Mulhouse, 1967, p. 65.↩
27. VATICAN II, Nostra Aetate, 1967, N°3.↩
28. Idem N°5.↩
29. J.-P. LICHTENBERG, Le concile dans la vie, L’Eglise et les religions non-chrétiennes
Casterman-Paris-Tournai, Salvator-Mulhouse, 1967, p. 23.↩
Laisser un commentaire