« Cette maladie ne peut pas être guérie ailleurs, sauf chez les guérisseurs baatonu. »
Récemment, le P. Dominic Xavier Vincent, a soutenu sa thèse intitulée « Questions anthropologiques liées à la prise en charge des malades mentaux en pays baatonu (Nord Bénin) ». Cette étude a été menée au nord Bénin, tout particulièrement dans les départements de la Donga, du Borgou et de l’Alibori. La population étudiée s’appelle les Baatombu (les Bariba) – qui sont majoritairement cultivateurs, éleveurs et chasseurs. Elle se chiffre environ 1 240 000 habitants.
En quatre chapitres, il explore et présente les aspects anthropologiques liés à la compréhension locale et au traitement de la maladie mentale dans le peuple baatonu.
Dans les deux premiers chapitres, il présente d’abord les deux pratiques thérapeutiques utilisées pour les malades mentaux : l’une, moderne, réalisée au centre saint Camille de Djougou et l’autre mise en pratique dans les centres traditionnels en pays baatonu. Dans le troisième chapitre, il élabore, à travers l’histoire de vie des patients, les proverbes locaux, les prières traditionnelles et les paroles quotidiennes de la population, la conception de l’univers baatonu et la pensée des maladies mentales. Le quatrième chapitre porte un soin particulier aux problèmes liés à la maladie mentale ou à la prise en charge médicale des malades mentaux.
L’étude débouche sur des propositions dont le fil conducteur est d’abord de recommander la prise en considération de l’homme malade dans son intégralité et deuxièmement, de tenir compte des facteurs culturels
C’est son expérience missionnaire dans le nord de la République du Bénin qui l’a poussé à s’aventurer dans cette recherche. « Prêtre catholique et missionnaire au Nord Bénin, j’ai vécu dans le milieu baatønu pendant sept années ».
En mission à Pèrèrè, il a tissé une très bonne relation avec les dirigeants locaux et nationaux, dont le roi du baatombu et les guérisseurs traditionnels.
Il a été particulièrement influencé par la visite de Grégoire Ahongbonon, le fondateur de l’Association Saint Camille, « Lors de cette visite, on a trouvé, parmi les malades, une femme, le corps nu, attachée à la racine d’un arbre ». Grégoire s’est renseigné sur la femme et sur sa maladie mentale. Il a dit qu’il pouvait traiter son cas dans de meilleures conditions. Il a promis à la famille que les frais liés au traitement, au déplacement et à la restauration, seraient entièrement pris en charge par l’association. Mais, la famille de la malade a catégoriquement rejeté l’offre. Ils ajoutaient : « cette maladie ne peut pas être guérie ailleurs, sauf chez les guérisseurs baatonu. »
C’est le besoin de comprendre la conception et l’interprétation de la maladie mentale chez les Baatombu comme quelque chose de plus grand qu’un dysfonctionnement psychologique qui a poussé le P. Xavier à réfléchir sur certaines questions spécifiques. « Les questions que j’ai formulées au début de cette étude étaient celles-ci :
- Pourquoi toutes les maladies ne sont-elles pas vues comme naturelles ?
- Quelles sont les critères qui permettent aux Baatombu de déterminer les maladies a-naturelles, surnaturelles ou provoquées ?
- Quelle est la conception sous-jacente à la maladie mentale en pays baatonu ?
- Pourquoi pensent-ils que certaines maladies doivent être traitées dans les centres traditionnels ?
- Quelles sont les facteurs qui rendent réticents les Baatombu pour recourir à la médecine moderne pour les maladies mentales ? »
Afin de répondre à ces questions, il a décidé d’étudier différentes pratiques thérapeutiques.
C’est pourquoi l’enquête débute avec l’étude de la prise en charge médicale au centre saint Camille de Djougou et ensuite, les centres traditionnels en pays baatonu.
Sa curiosité et son intérêt l’ont aidé à découvrir par le biais d’enquêtes auprès des patients, d’étude de l’histoire de vie des malades, d’entretiens avec les informateurs, « j’ai pu identifier premièrement, les quatre facteurs que les Baatombu observent pour déterminer la nature d’une maladie : 1) l’origine mystérieuse de la maladie , 2) la durée de la maladie, 3) l’inefficacité du remède, et 4) une sorte de cohérence entre le vécu et la parole d’un voyant, les paroles défiantes, un conflit, un rêve, un signe d’alerte dans la nature… »
Deuxièmement, il s’est aperçu que quand le malade ou la famille du malade n’a pas de réponse claire sur ces quatre facteurs, les Baatømbu estiment qu’il s’agit d’une maladie a-naturelle ou provoquée. Par conséquent, ils privilégient les traitements traditionnels en premier lieu. Si le malade se rétablit, il rentre chez lui et reprend ses activités. Au cas où les traitements traditionnels s’avèrent inefficaces, c’est à cet instant-là que les Baatømbu recourent au traitement moderne.
Troisièmement, il a établi que cette démarche parmi les Baatombu comme un itinéraire thérapeutique. Toute personne, issue de la société baatønu suit naturellement cet itinéraire qui commence par l’automédication, le traitement traditionnel et enfin, le traitement moderne, et parfois, la reprise du traitement traditionnel.
Touchant du doigt les deux pratiques thérapeutiques concernant les malades mentaux, « j’ai été amené à aborder certaines questions anthropologiques problématiques telles que la maltraitance, l’exclusion sociale, la surdose des médicaments, l’identité et la valorisation de la personne par le travail et la notion d’obligation chez les Baatømbu », a-t-il remarquer.
L’objectif de cette étude, selon le P. Xavier, est de faire ressortir les éléments culturels tels que la représentation de l’univers de Baatømbu, l’organisation de la vie sociale et la conduite de vie personnelle et collective qui a l’obligation de privilégier et maintenir l’harmonie et la paix sociale. Du moins, ce travail met en lumière la conception de l’origine de la maladie mentale chez les Baatømbu. C’est-à-dire, les maladies mentales sont perçues par les Baatombu entre autres, comme une perturbation et un déséquilibre relationnel d’où l’importance d’aborder l’homme dans son intégralité et de tenir compte de l’aspect social, symbolique et spirituel pour arriver à la racine du mal et guérir. Or, le centre psychiatrique de saint Camille a une approche différente des centres traditionnels.
Dans le quatrième chapitre, il laisse place d’une part, à la mise en commun ou à une discussion sur les questions pertinentes liées à la prise en charge des malades mentaux. D’autre part, il suggère des propositions pour une meilleure prise en charge. En gros, il fait deux recommandations : premièrement, que l’Etat béninois supervise et coordonne les efforts individuels des guérisseurs et thérapeutes et 2) que la médecine moderne tienne compte d’éléments culturels, sociaux, symboliques et religieux dans le processus de traitement des maladies mentales.
Il espère que cette étude permettra de mieux comprendre la maladie mentale telles que les Baatombu la conçoive et d’améliorer la prise en charge médicale des malades mentaux.
Enfin, il est reconnaissant au « Généralat SMA qui m’a proposé et m’a encouragé à faire un master en anthropologie culturelle. Mes sincères remerciements à la province SMA de Lyon de m’avoir accueilli et de m’avoir permis de faire cette étude dans de meilleures conditions. Merci à la province SMA de l’Inde qui m’a permis et m’a soutenu tout au long de ma formation ».
Par Dominic Wabwireh, SMA
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