L’équipe médias SMA International a eu le privilège d’interviewer le P. Jean-Marie Guillaume, ancien Supérieur général de la Société des Missions Africaines. Il a été Provincial de la Province de Strasbourg pour deux mandats consécutifs (1995-2007) et s’est ensuite retrouvé à Rome comme Vicaire général de la SMA lors de l’Assemblée générale de 2007. Trois ans plus tard, il remplace le Supérieur général Kieran O’Reilly, nommé évêque de Killaloe en Irlande. Il est maintenant résident de la maison provinciale de Strasbourg et voici quelques-unes de ses réflexions.
Qui est Jean-Marie Guillaume ?
Je suis né le 26 juillet 1939, issu d’une famille de huit enfants du Haut Doubs horloger, d’un village au doux nom de Bonnétage, situé dans les collines du Jura à 880 mètres d’altitude. La famille tenait une petite ferme et s’adonnait à l’élevage des vaches pour la production laitière. Maman est décédée alors que j’avais un mois et papa fut maire du village de 1936 à 1972. Mes parents avaient la foi chevillée au corps. Ils ne manquaient jamais la messe du dimanche et même les Vêpres chantées en latin. Dès l’âge de quatre ans, j’ai fréquenté l’école communale qui se trouvait au quartier « village-haut », en haut de la colline, tout près de l’église. Avant d’aller à l’école, tous les matins, avec mes frères et sœurs, nous assistions à la messe quotidienne, en hiver dans une église très froide, le prêtre célébrant à l’autel dressé contre le mur, dos au peuple, en latin. Pendant ce temps, les enfants récitaient la prière du matin à haute voix. J’ai ensuite fréquenté le petit séminaire diocésain Notre Dame de Consolation, et le séminaire de philosophie à Faverney en Haute Saône. À la sortie de cet établissement, j’ai rejoint la SMA, suivant les pas de plusieurs confrères de la région que je fréquentais. Je voulais être missionnaire en Afrique. J’ai fait le noviciat à Chanly et prononcé mon premier serment d’appartenance à la SMA le 10 juillet 1960, il y a soixante ans. Après une première année de théologie au grand séminaire des Missions Africaines à Saint Pierre, j’ai été retenu pour vingt mois par le service militaire. J’ai repris les études de théologie pour trois ans en octobre 1963. J’ai prononcé le serment perpétuel le 29 juin 1965, la veille de mon sous-diaconat, et j’ai été ordonné prêtre le 8 janvier 1966 dans mon village natal. J’ai terminé mes études au grand séminaire de Saint Pierre, en juin 1966.
Brièvement, racontez-nous votre expérience missionnaire avant votre mandat de Supérieur général.
Étant entré aux Missions Africaines pour servir en Afrique, j’espérais pouvoir partir dès mes études de théologie accomplies. Je fus envoyé à Rome pour des études bibliques. Après une année passée à l’Angelicum pour obtenir la licence de théologie, j’ai effectué le cycle des trois ans des études bibliques au Biblicum. Quelques mois avant de terminer ces études, j’ai réitéré auprès du Supérieur Provincial mon désir de partir en Afrique, mais je fus nommé « animateur » au foyer des étudiants sma à Strasbourg, avec Gérard Bretillot. Il y avait une vingtaine de jeunes, mais la plupart d’entre eux après leurs études de philosophie optèrent pour d’autres orientations. Les étudiants fréquentant la faculté de théologie de Strasbourg, je pris l’option de m’inscrire moi-même à la faculté, au troisième cycle de théologie et pendant cinq ans, je travaillai avec le professeur Joseph Schmitt à une thèse en théologie biblique que je défendis le 19 avril 1975 sous le titre de « Luc, interprète des anciennes traditions sur la résurrection de Jésus ». Etant missionnaire, la résurrection de Jésus restait pour moi le point de départ et le centre du témoignage que le missionnaire doit porter aux peuples vers lesquels il est envoyé.
Après une année d’approfondissement de l’anglais à Londres, je suis parti au Nigeria, à Ibadan, pour enseigner l’Écriture Sainte au Grand Séminaire régional Saint Pierre et Paul. En ce temps-là, il était très difficile d’obtenir un visa pour un séjour prolongé en ce pays. Finalement j’arrivai là-bas en janvier 1977 et commençai mon enseignement au début du deuxième semestre de l’année scolaire 1976-77.
L’année 1982 fut une année spéciale de préparation à l’assemblée générale de mai 1983. Pour cette assemblée, la SMA avait décidé de laisser de côté ce qu’on appelait la méthode parlementaire et opter pour la méthode prospective. Quatre confrères furent désignés pour s’initier à cette méthode. Comme j’étais bilingue (français et anglais) je fus désigné comme membre de l’équipe. Nous eûmes plusieurs sessions de formation de huit jours à Rome et je devais aussi parcourir les pays de l’Afrique de l’Ouest où les confrères SMA travaillaient, pour répercuter ce que nous avions appris de la méthode et tenir des réunions de confrères en préparation à l’Assemblée générale. Suite à cela, je fus élu comme délégué de ma province (Strasbourg) à l’Assemblée générale, et désigné aussi comme l’un des animateurs de cette assemblée. Je fus élu comme vicaire général de la SMA durant la même assemblée. Après ces six années d’un premier mandat, j’ai voulu faire une année sabbatique à l’Ecole Biblique de Jérusalem. Sans que je le demande, l’École me procura une bourse de six mois. Je pus reprendre le goût de la Bible et me préparer à ce qui me fut proposé plus tard, responsable de la nouvelle maison de formation SMA à Ebimpé-Anyama en Côte d’Ivoire. Le fait d’avoir vécu plutôt difficilement la condition d’étudiant m’aida à mieux cerner la condition des étudiants sma avec lesquels j’étais appelé à vivre. J’occupai ce poste jusqu’aux assemblées de 1995, tout en enseignant la Bible à l’UCAO (Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest) et au grand séminaire national de Côte d’Ivoire. Je fus ensuite élu provincial de la province de Strasbourg pour deux mandats consécutifs (1995-2007) et me retrouvai encore Vicaire général de la Société à l’issue de l’Assemblée générale 2007. Au bout de trois ans, je fus amené à remplacer le supérieur général Kieran O’Reilly nommé évêque de Killaloe en Irlande.
Pendant votre mandat , vous avez voyagé pour rendre visite à des confrères dans leurs missions. Avez-vous été impressionné par ce que vous avez trouvé sur le terrain ?
Bien des choses m’ont impressionné durant mes visites des confrères sur le terrain : d’abord la solidité de leur foi, leur dévouement, leur patience et leur fidélité envers les communautés chrétiennes locales, la fraternité entre confrères, leur confiance et collaboration avec les catéchistes, l’attention aux plus pauvres qui venaient frapper chez eux ; ensuite leur créativité pour établir les structures, un bon nombre se donnaient à plein dans les constructions ; leur capacité à changer de postes et à recommencer, ce qui était pour beaucoup un véritable déchirement ; leur bonne entente avec le clergé local et les évêques, leur proximité avec les gens.
Quelle est cette mission particulière qui vous a frappé ?
Chaque mission est particulière et demande son lot d’effort et de renoncement, en même temps qu’elle apporte ses joies et ses satisfactions.
Tout au début de mon premier mandat (juin 1983), je fus amené à visiter une équipe de confrères, français et hollandais, qui s’investissaient dans ce que nous appelions l’apostolat urbain à Accra au Ghana, le pays vivait dans des difficultés extrêmes, frisant la famine. J’ai admiré la détermination de ces confrères.
Une autre mission qui m’a beaucoup impressionné fut la mission en pays Turkana- diocèse de Lodwar, presque un pays désertique. Un missionnaire qui m’a beaucoup impressionné par sa foi, sa détermination et son désir d’aller plus loin a été le Père Jean Klein, qui était à la mission de Tchébébé, au sud du diocèse de Sokodé (Togo) et qui est parti fonder une nouvelle mission à Affassalokopé, de l’autre côté du fleuve Mono, dans une endroit où le christianisme n’était pas implanté, c’était dans les années 2005-2009, il fallait tout commencer à zéro. Mais j’ai aussi été déçu par l’un ou l’autre confrère, heureusement peu nombreux, qui se targuaient d’être négligés et peu respectueux de leur tenue parce que missionnaire. Le Père Bernard Bardouillet, qui nous a quittés subitement le 5 juin 2020 aimait répéter que « le prêtre, le missionnaire se devait d’être simple et humble, mais sans ressembler à un clochard »
Cela fait maintenant 164 ans que le vénérable Mgr Melchior de Marion Brésillac a fondé la SMA. D’après vos découvertes lors de vos voyages en visitant des confrères dans leurs missions respectives, pensez-vous que le charisme SMA est toujours pertinent malgré les temps et les réalités changeantes d’aujourd’hui ?
Chaque confrère ou chaque équipe, surtout en Afrique, essaie de travailler dans le sens du charisme laissé par Mgr de Marion Brésillac, « aller vers les plus abandonnés » et vers ceux qui n’ont pas entendu parler de Jésus Christ. Ils essaient de mettre sur pied des communautés qui petit à petit se prennent en charge autant sur le plan de l’évangélisation que sur les plans de la catéchèse, des structures et des finances et du développement. Il y a encore en Afrique des zones et des milieux de première évangélisation.
Dans les nombreuses missions que j’ai visitées où nos confrères travaillent, en Afrique, j’ai été frappé de voir que dans les prémisses de la mission, il y avait souvent des pauvres qui y trouvaient refuge, vêtements et nourriture et qui n’avaient abri nulle part ailleurs. Ces pauvres semblaient être là comme des protecteurs de la mission.
La SMA a subi beaucoup de changements. Provinces, Districts, Districts -en- formation, Fondations et maintenant de retour aux Districts et provinces. À votre humble avis, comment pensez-vous que ces changements ont affecté la mission SMA ?
Ce qui a changé la physionomie de la SMA, c’est sa volonté de revenir à une intuition première du Fondateur : accueillir des membres venant de toute nationalité, pourvu qu’ils soient idoines. Ce fut lors des assemblées 1983. À partir de cette époque, la SMA a mis en place des structures pour accueillir et former des candidats des Églises d’Afrique que nous avions aidé à établir, elle est allée en Inde, au Tamil Nadu, proposer le charisme SMA, elle a essayé de fournir un effort de recrutement plus poussé en Pologne et en Argentine.
Sur le plan des structures, la SMA est restée fidèle à elle-même et ne s’est pas laissé bousculer. Les structures actuelles ne sont qu’une copie conforme de ce qu’elles étaient avant 1983, Provinces, Districts, Districts-en-Formation, Fondations. Ces dernières ont changé de nom, dans un temps donné, elles s’appelaient Zones, et maintenant, Délégations. Pourtant une réflexion importante a été entamée dans toute la Société, dans les années qui ont précédé l’assemblée générale 2007, mettant en avance plusieurs modèles de structures possibles pour un meilleur service de la mission. L’assemblée 2007 a simplement ignoré cette réflexion préparatoire et on en est resté aux structures traditionnelles. La SMA en Afrique, par nécessité, avait adopté des structures intermédiaires établissant des districts-en formation au-delà des frontières géographiques en 2008, se basant sur deux critères importants, l’internationalité et la solidarité financière. Mais dans les années qui ont suivi, il semble que chaque groupe national voulait s’assurer une sécurité et on a assisté à un retour aux frontières géographiques. Finalement l’assemblée 2019 a appliqué les structures anciennes à l’Afrique. La différence fondamentale par rapport aux anciennes structures est que tout ce qui touche à la formation initiale relève du Supérieur général et de son conseil, cela, parce que les différentes entités ne peuvent plus faire face seule aux besoins de la formation, par manque de moyens financiers ou en personnels.
Selon vous, quels sont les domaines sur lesquels les Supérieurs général et provinciaux et leurs conseils doivent-ils mettre davantage l’accent ?
– ce qui touche à la formation initiale. En ce domaine, la SMA pourrait orienter sa recherche dans l’approche des nouvelles cultures, des périphéries des grandes villes, de l’œcuménisme…
– déterminer ce qui peut être la mission spécifique de la SMA, les zones prioritaires où elle peut être présentes
– favoriser le partage non seulement des finances, mais du personnel et des compétences…
Êtes-vous satisfait de la qualité de la formation que reçoivent les jeunes confrères SMA ?
Il y a toujours eu une certaine insatisfaction par rapport à la formation offerte aux candidats à la mission dans la SMA, par rapport à l’équilibre à trouver entre les aspects intellectuels de la formation et l’initiation pastorale pratique. Mais on n’a jamais pu y remédier totalement. Il y a d’un côté les exigences demandées par l’Eglise et les programmes à exécuter, et de l’autre la formation adéquate en vue de la mission proprement dite. De toute façon, la formation est un processus qui dure toute la vie.
Qu’est-ce qui vous aidé à avancer malgré les défis que vous avez affrontés au fil des ans ?
– la certitude que dans toute situation où je me suis trouvé, je répondais à ma vocation missionnaire dans la SMA et que Jésus, le vivant, le Ressuscité nous conduit
– ma capacité à accepter en toute humilité ce qui m’était proposer
– des confrères, même en dehors de la sma, et des personnes qui ont été à mes côtés et qui souvent, sans le savoir, m’ont aidé dans mon cheminement.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants dans les maisons de formation et aux jeunes prêtres qui viennent de commencer leur mission ?
– être ouvert à tout ce qui vient et faire le tri de ce qui est utile et épanouissant pour son engagement.
– se convaincre que nous participons à une mission commune qui appartient à toute la SMA, qui nous dépasse et qui est celle de Dieu lui-même.
– considérer toute personne que nous rencontrons, chrétiens ou non, pauvres ou riches comme des envoyés de Dieu sur notre chemin
Êtes-vous heureux en tant que prêtre SMA ?
Globalement oui ! Cette question posée à une personne qui a passé toute sa vie dans la SMA me parait naïve. Autant me demander si je suis heureux de vivre. Elle fait référence à l’époque de l’engagement premier, pourquoi avoir choisi la SMA ? Je suis entré dans la SMA pour être missionnaire en milieu rural et vivre au milieu des gens comme témoin porteur de l’évangile, mais ma vie a été complètement différente de ce que j’avais imaginé. J’ai esayé d’accepter tout ce qui m’a été proposé comme des défis, des propositions propres à m’aider à développer les talents dont je pouvais disposer à mon insu.
Notre maître des novices, tout au début de notre noviciat, nous disait que le premier but de notre entrée dans la SMA est notre bonheur personnel. Dans ma vie il y a eu des hauts et des bas, des moments difficiles, de solitude, d’incompréhension, et des moments d’euphorie et de grand bonheur. J’ai appris très vite que c’est à soi-même de travailler à son propre bonheur. Il ne faut pas attendre que le bonheur nous vienne des autres. La vie est toujours un cadeau à apprécier, à utiliser avec délicatesse.
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