Le continent Africain est vaste. Elle est le berceau et la terre de nombreuses religions traditionnelles. Les pratiques dans les religions traditionnelles sont aussi diverses que les coutumes des peuples différents à l’intérieur d’un même pays. En plus, dans les religions traditionnelles africaines, il est difficile de déterminer les frontières subtiles entre la vie quotidienne et la pratique, entre le profane et le sacré.
Une conception commune à toutes les religions traditionnelles africaines est la croyance de l’existence du monde visible et invisible. La quête véritable de l’homme africain est de vivre en paix dans le monde, avec le cosmos et tous les êtres. Commençant par l’importance des salutations et l’accomplissement des devoirs, tout est destiné pour vivre en paix avec tous et aussi avec les ancêtres. Je reprends le même point pour souligner deux petites précisions. La première précision est l’indivisibilité de la pratique religieuse de la vie quotidienne englobant les aspects social, culturel, économique etc. autrement dit, Dieu est en tout et tout est en Dieu. Dieu n’est en dehors de rien et rien n’est en dehors de Dieu. Cela implique de chercher la paix en tout. Enfanter ou Enterrer ? Semer ou Moissonner ? Planter ou couper ? Élever ou égorger ? Dieu est la cause. La deuxième est la relation vivifiante et incontournable entre les êtres sur terre et les ancêtres. Tout passe par eux. Chez les Baatombu au Bénin, à la cérémonie de la remise de nom traditionnel, les ancêtres sont invoqués. De même, à l’occasion de l’enterrement dans la coutume Baatonu, j’ai été ému quand les Baatombu chantaient et communiquaient avec leurs ancêtres comme une litanie des saints les invitant à venir pour l’accueil du défunt au seuil du séjour des ancêtres. La relation avec les ancêtres est filiale et irremplaçable. Même si l’on ne les voit pas, ils sont là. On essaie de maintenir une bonne relation avec eux. Plusieurs gestes du quotidien rappellent la présence en la vénération due aux ancêtres tels que verser de l’eau dans un lieu où ils ont été enterrés ou leur jeter par terre la première bouchée de nourriture avant de commencer à manger etc.
La description de ce que sont les religions traditionnelles Africaines n’est pas l’objectif de cet article mais c’est plutôt d’initier des réflexions sur des pensées et de tendances communes courantes par rapport à la pratique des religions traditionnelles africaines.
Au début du mois de Janvier 2018, les jeunes prêtres SMA et les sœurs NDA et les sœurs missionnaires du Sacré Cœur travaillant aux différents lieux en France, ont eu leur rencontre à Chaponost. Au sein de cette conférence, le Père QUILLET a initié une journée de réflexion sur l’aumônerie des communautés africaines. Ce thème nous a permis de comprendre et d’analyser certains éléments fréquemment et fortement présents dans les communautés chrétiennes africaines, concernant la pluri-culturalité et l’identité. Ce forum a favorisé un bon échange de connaissance sur les pensées, les croyances et les tendances courantes d’aujourd’hui.
Au Nord du Bénin, quelqu’un m’a donné une réponse étonnante quand je lui ai demandé le pourcentage de différentes religions présentes dans son village. Il disait, « Ici, il y a 25% des Chrétiens, 55% de musulmans et 100% des animistes ». C’est étonnamment vrai. Lors de nos échanges à Chaponost, une sœur religieuse témoignait de ceci. À cause de son intégration dans la communauté chrétienne catholique, elle n’avait pas fait le rite d’initiation selon la tradition. N’ayant pas accompli ce devoir, elle n’est pas considérée comme membre du groupe ou même comme femme. Cet aspect traditionnel et culturel peut avoir de l’impact sur toutes les dimensions de vie sociale, religieuse, humaine etc. À l’encontre des autres religions, les rites religieux d’initiation en dehors de la religion traditionnelle ne sont pas reconnus. La personne non-initiée est perçue comme une personne qui a une dette envers la tradition, et donc un sous-homme. Alors, il faut nécessairement être initié selon la tradition. Cette intégration à la tradition conduit l’homme dans les croyances de la religion traditionnelle. Pour expliquer ce phénomène, prenons les cérémonies qui marquent le passage de l’enfance au statut d’adulte. À vrai dire, ce rite n’est pas aussi simple qu’on peut l’imaginer. Dans la préparation et le déroulement de cet événement, la tradition transmet soigneusement des éléments spirituels et supranaturels comme contenu de croyance. C’est pour cela que la religion traditionnelle identifie l’identité personnelle et la croyance religieuse. Par conséquent, un fidèle chrétien ou musulman ne cesse de se référer à sa source originelle. Je cite Benjamin AKOTIA qui explique cette duplicité de foi en disant, [1]« Le rapport complexe des chrétiens d’Afrique avec la religion des ancêtres se reproduit avec les autres confessions chrétiennes. C’est parce qu’ils ont du mal à quitter la religion des ancêtres qu’ils y retournent »1. Mais cela soulève la question de l’infidélité à la pratique de la religion.
Les adeptes des religions traditionnelles, les chrétiens et les musulmans circulent d’une religion à l’autre. Ils fréquentent volontiers plusieurs confessions. Comment peut-on l’expliquer ?
À la mission de Pèrèrè au nord du Bénin, des gens venaient pour faire bénir de l’eau ou l’encens, parfois des chapelets. Les personnes qui demandaient la bénédiction sur ces objets ne m’étaient pas familières. Je n’avais pas l’impression de les avoir rencontrées dans l’assemblée des fidèles chrétiens. Donc, curieux, je leur demandais qui ils étaient et d’où ils venaient. Leurs réponses m’ont toujours surpris. « Nous ne sommes pas des chrétiens. En fait, ces choses bénies sont très puissantes contre les forces maléfiques,« , répondaient-ils. À l’égard de cet acte, faut-il réagir comme Jésus qui louait la foi d’un centurion, « Même en Israël, je n’ai pas vu une telle foi« [2] permettant ainsi l’échange de richesses d’une religion à l’autre ? Ou faut-il fermer tout accès à des adeptes d’autre confession ? Benjamin AKOTIA, parlant des chrétiens qui fréquentent volontiers plusieurs confessions, donnent certains intérêts à cette circulation entre religions. Je crois que cela est une circulation à deux sens. Les motifs sont ceux-ci. : 1. Remède 2. Hospitalité 3. Solidarité.
1. Remède : Dans le cadre d’une maladie grave ou d’une possession des esprits maléfiques, la famille de la personne malade ou possédée cherche le remède. Le rétablissement de la santé est essentiel et celui qui la guérit n’a aucune importance. La persévérance dans l’épreuve n’est pas vue comme un acte de foi. La guérison est recherchée à tout prix. Ce n’est pas une infidélité envers la confession principale. Par conséquent, aucune culpabilité envers ce culte n’est ressentie. On peut aussi penser que c’est l’incapacité d’un culte qui tourne vers un autre. Une fois guérie, la personne peut revenir là où elle appartient. Cette circulation peut être expliquée sous le principe de l’hospitalité.
2. L’hospitalité est une des vertus fondamentales dans les coutumes africaines. Ce n’est pas du tout surprenant que les gestes d’hospitalité s’étendent même sur le plan religieux. Benjamin AKOTIA distingue ce mouvement en deux aspects, « On peut y être comme membre ou tout simplement comme hôte de passage »[3]. La capacité de tolérance des autres et la qualité d’accueil sont attendues dans ce qui est vécu quotidiennement.
3. La solidarité : Les membres d’une famille peuvent avoir des confessions de foi différentes. Mais tout rassemblement, que ce soit religieux ou social, est d’abord familial et alors la présence de tous les membres de la famille et leur participation sont impératives. Au cas échéant, le membre absent risque d’être mal vu ou même exclu. Le sens de solidarité avec la famille va jusqu’à avoir part dans le sacrifice sanguin et consommer du sang en signe du renouvellement d’alliance familiale.
En somme, tout ce qu’on vient de dire sous plusieurs angles peut être dit en une seule parole : c’est l’effort de l’homme africain pour vivre en paix.
Pour conclure, les religions traditionnelles africaines attirent aujourd’hui l’attention de tout le monde. Parfois les membres de différentes confessions soulèvent des questions pertinentes vis-à-vis de pensées, de tendances courantes qui se développent. Quelle attitude à adapter en face de ce mélange de foi, de cet échange des pratiques religieuses, de la cohabitation des confessions de foi différentes dans le cœur des croyants et de la réflexion qui tend à voir cela comme échange, comme solidarité et comme hospitalité etc. Il est urgent que nous réfléchissions sur ces questions pour comprendre ce qui se vit et pour aider à trouver des réponses.
Dominic Vincent, sma
Etudes – LYON
[1] Benjamin AKOTIA, l’hospitalité culturelle des chrétiens d’Afrique, Spiritus, Revue d’expériences et de recherches missionnaires, N° 229 Décembre 2017, P .478.
[2] Luc 7,9
[3] Benjamin AKOTIA, l’hospitalité culturelle des chrétiens d’Afrique, Spiritus, Revue d’expériences et de recherches missionnaires, N° 229 Décembre 2017, P .479.
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