Dans l’article Dialogue Chrétiens-Musulmans à la lumière de Nostra Aetate, nous avons fait une présentation historique de la déclaration Nostra Eatate. Cette fois-ci, nous ressortons les points saillants de ce document qui pourraient être la
base de notre engagement dans le dialogue avec les hommes et femmes d’autres confessions religieuses.
Nostra Aetate a opéré un renouveau dans le cheminement du dialogue entre chrétiens et musulmans. En effet, Nostra Aetate s’est adressée à des personnes et non à la religion. La déclaration a privilégié les rapports entre les membres de la même communauté humaine issue de Dieu, et non les rapports entre les doctrines des religions. De ce fait, Nostra Aetate a évité dans son langage les termes christianisme
et islam
. Car ce sont des termes qui laissent entendre des doctrines qui finissent par orienter de façon malencontreuses les relations entre les chrétiens et les musulmans. Et l’homme perd ainsi la valeur de l’homme qui doit primer dans les relations, et il honore une doctrine qui, souvent n’est pas bien saisie dans tout son mystère.
Le langage de la Déclaration a employé les termes de chrétiens et de musulmans. Les redondances de ces termes sont les suivantes :
L’Eglise regarde aussi avec estime les musulmans,… de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entres les chrétiens et les musulmans.1
A côté de ces utilisations concrètes, il y a l’emploi du pronom personnel Ils
à la place de chrétiens ou de musulmans. Ces termes caractérisent bien la nature humaine du dialogue. Ce qui est au sommet de ce dialogue, c’est la condition de l’homme crée par Dieu. La Déclaration ne voudrait pas que les relations s’effritent à cause des doctrines qui structurent les religions, mais que les hommes puissent en être bénéficiaires.
Il incombe donc aux chrétiens, malgré des persécutions, d’accepter de vivre et de collaborer, et de montrer le Christ à tous.
C’est en effet, l’espérance que l’Eglise demande aux chrétiens de vivre dans le dialogue. Car aujourd’hui, nombreuses sont les difficultés qui minent les relations entre chrétiens et musulmans. L’on ne compte plus les attaquent armées de certains groupes islamistes contre les chrétiens dans certains pays d’Amériques, d’Europe, d’Asie et d’Afrique. Ces attaques par peuvent donner aux chrétiens un caractère utopique du dialogue. Ce caractère utopique peut être renforcé par l’attitude de violence de certains groupes de l’islam dans la société en générale.
Cependant, le chrétien doit sans cesse essayer de répondre à sa mission. Celle d’être sel et lumière pour le monde à la manière du Christ sur le chemin sa Passion. C’est le message que le pape Benoît XVI a adressé aux africains dans son Exhortation apostolique Africae munus. Le pape y engage fortement le chrétien africain sur la voie de la mission de l’Eglise. Dans cette voix de la mission, il a rappelé la nécessité et l’urgence du dialogue interreligieux.
Le pape en parlant, du dialogue interreligieux comme faisant partie de la mission de l’Eglise, n’a fait que rappeler le pape Jean-Paul II dans Redemptoris Missio. Dans cette encyclique, le pape Jean-Paul II, faisait du dialogue interreligieux un impératif de la mission évangélisatrice de l’Eglise. Le Saint Père explique que :
Le dialogue interreligieux fait partie de la mission évangélisatrice de l’Eglise. Entendu comme méthode et comme moyen en vue d’une connaissance et d’un enrichissement réciproques, il ne s’oppose pas à la mission ad gentes, au contraire il lui est spécialement lié et il en est une expression. 2
Le dialogue dans l’Eglise fait partie de l’activité missionnaire de l’Eglise, dans la même dignité que toute autre voie de la mission ; voire même la voie qui a besoin de plus d’attention et d’intérêt de nos jours. Car le dialogue pourrait être considéré comme le manifeste d’une foi véritable, solide et pure ; le manifeste d’une espérance, et le manifeste de l’amour fraternel.
En effet, concernant l’amour fraternel, Nostrat Aetate enseigne ceci:
nous ne pouvons pas invoquer Dieu, Père de tous les hommes, si nous refusons de nous conduire fraternellement envers certains des hommes créés à l’image de Dieu. La relation de l’homme à Dieu le Père et la relation de l’homme à ses frères humains sont tellement liés que l’Ecriture dit:
Qui n’aime pas ne connait pas Dieu(1 Jn 4, 8).3
L’Eglise veut par le biais du dialogue, inviter le chrétien à être le modèle et l’incitateur au bannissement de toutes sortes de discriminations envers les hommes.
En définitive, le dialogue que le chrétien doit mener dans le contexte de sa mission, devra être un dialogue d’espérance en un monde meilleur dans le Christ ; de foi en Jésus-Christ et en l’humanité toute entière ; et d’amour indéfectible pour Dieu et son prochain. Redemptoris Missio fonde le dialogue sur l’espérance et l’amour : Le dialogue est fondé sur l’espérance et la charité, et il portera des fruits dans l’esprit.
4 En effet, pour que le dialogue entre chrétiens et musulmans soit possible et porteur de fruit, il nécessite aussi un long processus de rencontre, de patience et d’amour 5. Ce qui doit prévaloir pour le chrétien dans un tel dialogue, c’est la construction de la communauté humaine avec les valeurs qui caractérisent sa religion, tout en partageant les valeurs des autres, en particuliers celles des musulmans, dans un respect sans équivoque. En cela le chrétien pourra répondre de cet être d’enfant de Dieu devant toute l’humanité entière et en être un modèle édificateur.
Le dialogue dans sa véritable vocation, répond à la valeur de la liberté religieuse. Celle-ci doit s’enraciner dans la prise de conscience de l’altérité religieuse. De part et d’autre, chrétiens et musulmans doivent arriver à s’accepter mutuellement tel qu’ils sont dans leur identité religieuse différente, excluant toutes idéologies politiques. Dans cette mesure, la pratique du dialogue doit se fonder, se construire, et se vivre sur le fondement de la liberté religieuse, en reconnaissant l’autre comme il est. C’est un dialogue dans lequel chrétiens et musulmans doivent entrer avec l’intégrité de leur foi. Quant à la liberté religieuse, Vatican II explique que :
Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte… de telle sorte qu’en matière religieuse, nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience. 6
Cette conception de la liberté religieuse au sein de l’Eglise dépouille le dialogue des préjugés que l’on lui donne. Ces préjugés étant la recherche de conversion de l’autre. En effet, le dialogue n’a pas pour but de conduire à pratiquer la même religion que soi. Mais le concile souligne que
La vérité doit être recherchée selon la manière propre à la dignité de la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par une recherche libre, avec l’aide … de l’échange et du dialogue par lesquels les uns exposent aux autres la vérité qu’ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée, afin de s’aider mutuellement dans la quête de la vérité.7
La liberté religieuse que prône l’Eglise dans la voie du dialogue invite ainsi à se dépouiller aussi de l’orgueil de sa foi afin de pouvoir s’ouvrir à l’écoute de la foi de l’autre qui peut être porteur de vérité. Pour qu’en effet, un dialogue puisse se réaliser entre chrétiens et musulmans, il faut oser aller à la rencontre de l’autre et essayer de le comprendre ; l’écouter parler de ce qu’il y a de plus cher au monde : sa foi
8.
Cependant dans le cadre de la conversion, le dialogue devrait conduire l’une ou l’autre partie à se transformer de l’intérieur. C’est-à-dire, une recherche véritable à vivre selon les valeurs édificatrices communautaires. Ainsi, le dialogue devient cette aptitude pour le chrétien et le musulman à pouvoir cohabiter l’un avec l’autre, en partageant les valeurs religieuses et morales fournies par les deux parties. Des valeurs qui peuvent servir à promouvoir un véritable développement de l’Afrique et du monde entier, et offrir une paix durable et stable, dans un environnement de justice et d’amour.
Jean Paul Silué
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Notes de bas de page
1. VATICAN II, Nostra Aetate, 1967, N°3. ↩
2. JEAN-PAUL II, Redemptoris Missio, 1990, N°55. ↩
3. VATICAN II, Nostra Aetate, 1967, N°5. ↩
4. JEAN-PAUL II, Redemptoris Missio, 1990, N°55. ↩
5. Paul QUILLET, Dialogue with Member of other Religions and the Mission
in Towards Understanding islam , Bulletin N°88, December 1992, p. 56. ↩
6. VATICAN II, Dignitatis Humanae, 1967, N°2. ↩
7. Ibidem N°3. ↩
8. Abd El MASSIH Au seuil de l’islam, Yaoundé, Clé, 1968, p.6. ↩
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