Et pourtant à Bouar, chrétiens et musulmans vivent toujours ensemble.
Après un mois et demi de vacances au pays, j’ai pu constater les conséquences néfastes de la terrible et sanglante crise que mon pays vient de traverser. La situation sur tous les plans est grave. Le profil qu’on peut dresser de la Centrafrique est celui d’un pays fragilisé et divisé.
L’insécurité devient chronique à Bangui et dans l’arrière pays. Les hausses des prix des denrées alimentaires de première nécessité inquiètes. Bref, une crise alimentaire menace tout le pays. Malheureusement, c’est la réalité d’un constat amer.
Malgré leur présence, les forces internationales qui sont là, restent impuissantes aux attaques, aux assauts et aux exactions des milices séléka et antibalaka. Ces deux groupes s’affrontent régulièrement dans la capitale Bangui et dans les provinces. Dans Bangui, elles gèrent en effet certains quartiers, semant la terreur sans être dérangées.
Depuis que cette crise a quitté la connotation politique pour la connotation religieuse, personne ne s’en sort indemne. Les autorités actuelles essayent de faire de leur possible pour restaurer la quiétude et maitriser la situation, mais cela reste un défi gigantesque. En plus même, l’accalmie à Bangui est relative, car il suffit d’un petit rien pour que tout recommence.
Par ailleurs, sur le plan régional, continental et international, à travers les différents médias, l’image que les gens ont de la Centrafrique est vraiment celle d’un pays au bord de la « guerre civile », au bord du « génocide » et du chaos. C’est aussi l’image d’une nation en proie à la violence interne : « Musulmans » contre « chrétiens ». Une nation où il est quasiment impossible pour ces deux éléments de la société de revivre ensemble. Car, pour nombre de personnes, la crise a laissé dans les cœurs un climat de méfiance, un sentiment de haine, de peur et d’intolérance. Chacun se méfie de sa propre ombre parce qu’on ne sait pas qui est qui et qui fait quoi, le jour comme la nuit. Voilà l’ambiance de cette délicate période.
Mais au milieu de toutes ces incertitudes, de toutes les souffrances que la population a endurées, une lueur d’espoir se dessine à l’horizon. Elle apparait dans l’ouest du pays, à Bouar, où un véritable témoignage de vie de coopération et de tolérance entre chrétiens et musulmans s’est manifesté pendant la crise. Et elle vient démentir l’opinion pessimiste de ceux qui pensent qu’il est difficile pour les chrétiens et musulmans de Centrafrique de réapprendre à revivre ensemble et de cohabiter comme se fut le cas dans le passé.
La ville de Bangui est vue et décrite comme le principal foyer de tous ces événements à cause de sa densité démographique. Elle regroupe à elle seule plus de la moitié de la population du pays.
C’est là en effet, qu’il est difficile de parler d’une probable réconciliation entre chrétiens et musulmans. Dans la plupart des cas, le langage que tiennent beaucoup de personnes est celui de la vengeance et de l’intolérance. On comprend alors qu’il existe des extrémistes dans les deux camps antagonistes qui ne sont pas prêts à adhérer à une philosophie de la paix et du dialogue. Ceux-ci, au contraire, sont partisans de la pérennisation de la crise parce qu’ils en tirent des profits personnels.
Il est vrai que la crise a crée la panique, la psychose dans la vie des milliers de personnes. Mais on ne doit pas continuer à se regarder en chien de faïence, du fait que la violence ne règle jamais les conflits. Au contraire ; elle nourrit et rend la situation de plus en plus catastrophique et dégradante. Pour ce faire, il faut sortir de ce carcan de souffrances, de ces maux qu’on fait inutilement, mais aussi réciproquement. Chacun doit nécessairement mettre un peu d’eau dans son vin afin de regarder sereinement vers l’avenir. Chrétiens et musulmans ne doivent plus vivre à couteaux tirés. Ils ont tous le devoir patriotique de briser ces barrières qui les séparent en concentrant davantage leurs efforts avec ceux du gouvernement et des différents acteurs, dans le processus de paix et de sensibilisation à la réconciliation. Ou encore, ils sont invités à suivre l’exemple des habitants de la ville de Bouar et leur attitude envers les musulmans pendant et après la crise.
La ville de Bouar, située à plus de 450 km de Bangui, se trouve à l’ouest de la Centrafrique. On peut dire qu’elle est l’une des rares villes du pays qui a subi moins de dégâts matériels pendant la crise. Et cela, grâce à l’action déterminée et la médiation réussie de l’Eglise catholique du lieu. Elle a pu appeler chrétiens et musulmans au calme et à la solidarité afin d’éviter tout dérapage. Message reçu et compris par les deux camps. Cet engagement ecclésial a finalement porté des fruits. Car, malgré quelques incidents, il a permis à cette ville d’être épargnée des violences et des atrocités comme ce fut le cas à Bangui.
Là encore, on pouvait facilement remarquer la présence de la mosquée centrale du quartier Haoussa qui n’a pas été détruite à la différence de celle de Bangui. Les quelques musulmans dont les maisons ont été saccagées, pillées ou détruites sont ceux qui s’étaient alliés aux séléka pendant leur fiasco. La plupart d’entre eux sont des étrangers venus du Tchad et du Soudan pour des questions d’affaires.
Par contre, les musulmans autochtones sont restés jusqu’à aujourd’hui, entretenant ainsi de très bonnes relations avec la population chrétienne. Au marché, tout comme dans les lieux publics, chrétiens et musulmans cohabitent ensemble, mais dans un climat de méfiance et de peur. Car, à la suite de cette crise, beaucoup d’armes ont circulé et les enlèvements nocturnes sont devenus quasi-réguliers. Bref, l’insécurité va grandissante comme sur toute l’étendue du territoire national.
En définitive, nous espérons que l’évangile de ce témoignage de vie des musulmans et chrétiens de Bouar pourra changer la position de ceux qui ne croient pas encore et toujours à la possibilité d’une réconciliation et d’un vivre-ensemble pacifique et harmonieux entre musulmans et chrétiens. Il peut aider beaucoup à prendre le chemin du pardon et du dialogue afin de savourer les beaux temps d’autrefois. C’est le défi que chacun doit essayer de relever en ce moment où notre pays traverse la plus obscure et douloureuse période de son histoire. Et si tous les chrétiens et musulmans de Centrafrique acceptaient de payer le prix de la paix en vivant ensemble comme l’ont fait ceux de Bouar ?
Yannick KOUDOUFIO, (R.C.A)
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