Le prélat catholique de renommée mondiale, Son Éminence le Cardinal Francis Arinze, définit ainsi le dialogue : « Vous parlez, j’écoute ; je parle et vous écoutez. » Il savait certainement ce dont il parlait, parce qu’il a été depuis de nombreuses années le président du Conseil pontifical pour le dialogue inter-religieux, l’agence du Saint-Siège pour le dialogue avec les autres religions.
Il a beaucoup été question de dialogue, non seulement au cours des dernières semaines de l’enlèvement de plus de 250 écolières par Boko Haram, mais depuis plus de trois ans. Malheureusement, il y a eu beaucoup d’ambiguïté et de confusion dans ce que nous entendons par dialogue, ce qui a conduit à des incohérences dans les mesures concrètes qui ont été prises. Il n’est pas étonnant que peu ou pas de progrès ont été réalisés depuis. Il me semble que la raison principale est que l’on parle trop et que l’on n’écoute pas assez, des deux côtés.
Le dialogue signifie parler et écouter à travers nos différences, à la recherche de points communs sur lesquels on peut établir, dans une certaine mesure, un accord. Il ne faut pas nier les différences, mais plutôt chercher à les identifier honnêtement et voir comment vivre avec ces différences afin d’éviter les conflits, en particulier les conflits violents.
Il n’y a pas de parallèle entre les écolières et les terroristes
Nous avons suivi avec une vive préoccupation le dilemme profond du gouvernement à savoir si et dans quelle mesure il peut engager Boko Haram dans un dialogue sur la libération des filles enlevées. Mais je voudrais dire qu’il semble y avoir une confusion et une contradiction est dans la nature même du dialogue. D’une part, le gouvernement a raison de rejeter la demande de Boko Haram d’échanger les filles contre leurs camarades emprisonnés. Il n’y a pas de parallèle entre les écolières et les terroristes détenus pour des crimes violents et haineux sur des innocents. Par ailleurs, aucun gouvernement ne peut ignorer les conséquences indicibles d’un tel précédent.
La seule option qui reste c’est le dialogue
Mais d’autre part, le gouvernement ne peut pas abandonner nos filles dans la forêt où ailleurs entre les mains de leurs ravisseurs. Il doit y avoir un moyen de les ramener à leurs familles, d’une façon aussi sure et certaine que possible. Au moment où j’écris, nous n’avons pas encore de nouvelles de leurs allées et venues. Et même si nous pouvions connaître leur lieu de détention, les sauver par la force des armes entraînerait un danger et des risques que même les parents des filles ne pourraient cautionner. La seule option qui reste est donc une forme de dialogue et de négociation difficile qui amènerait les filles chez elles sans créer de précédent dangereux et inacceptable.
Le dernier mot n’a pas encore été dit
C’est ici que nous pourrions évoquer la sagesse de la définition du cardinal Arinze sur le dialogue. Boko Haram a parlé et le gouvernement l’a écouté. Le gouvernement a parlé espérons que Boko Haram est à l’écoute. Dans ce jeu de marchandage, il est possible que le dernier mot n’a pas encore été dit par les deux parties. Y a-t-il pas d’autres demandes moins désagréables que Boko Haram peut faire ? Ils peut ainsi être impitoyable et méchant, mais il n’est certainement pas stupide. N’y a-t-il pas d’autres options que le gouvernement peut offrir ? Le dialogue a commencé. Je voudrais espérer que le dialogue ne soit fermé ni d’un côté ni de l’autre.
Faire des progrès exige une grande sagesse et une grande patience
Quelle que soit la situation, faire des progrès exige une grande sagesse et une grande patience. Il est également nécessaire que les intermédiaires soient efficaces et témoignent d’une confiance mutuelle, des gens qui peuvent écouter et parler des deux côtés. Ce n’est évidemment pas une question de publicité, et surtout pas pour marquer des points politiques. Le « comité de dialogue » officiellement inauguré avec faste et apparat, il y a un certain temps, devrait nous enseigner que ce n’est pas la meilleure façon de procéder. Un petit groupe d’hommes et de femmes sages, choisis avec soin, y compris parmi les personnalités religieuses, en particulier de confession musulmane, qui travailleraient tranquillement sur le fond, avec un profond sentiment de patriotisme et d’honnêteté et dépourvus de toute ambition politique transversale, pourraient être dans une meilleure position pour obtenir un certain succès.
Le bruit des armes ne saura étouffer les doux murmures salutaires
Il y a quelques jours, le président français, M. François Hollande, a appelé à un sommet les chefs d’état du Nigeria et des pays voisins. Étaient également présents des représentants de haut niveau de l’Union européenne, des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Il nous a été dit que le but était d’améliorer la coopération dans le traitement du cas Boko Haram qui est devenu une menace régionale et même mondiale. Pour aussi longtemps qu’il continuera à tuer, violer, enlever des gens innocents, détruire des biens et provoquer l’insécurité générale, il doit s’attendre à une action militaire plus intense et coordonnée contre lui par le Nigeria, ses voisins et la communauté internationale. Mais le bruit des fusils et des bombes sur et à partir des deux côtés ne pourra étouffer les doux murmures salutaires et nécessaires au dialogue et à la négociation de fond, qui, sur le long terme, le plus efficace pour toutes les parties concernées. Y a-t-il un chef d’État capable et désireux de convoquer un sommet qui fournira une tribune efficace à dialogue sérieux avec des éléments de la secte Boko Haram ? Cette démarche, même si elle semble bien improbable, ne doit pas être rejetée à priori.
Leur libération ne sera qu’un point de départ
Le président Jonathan a déclaré à Paris que « l’enlèvement d’innocentes jeunes filles à l’école de Chibok marque le franchissement d’une ligne et un tournant ». Le sort inconnu de ces jeunes filles et l’angoisse de leurs parents touchent le cœur de chacun. Nous prions pour leur retour en toute sécurité. Le dialogue pour leur libération ne sera qu’un point de départ pour convaincre les terroristes, à l’aide de la “carotte et du bâton”, de cesser le feu et d’entamer des négociations pour la paix et le progrès de notre grande nation. Pour cela, nous devons prier, même si cela tient du miracle.
Que Dieu bénisse le Nigeria – et ramène nos filles.
Lettre de Rome : 19 mai 2014
Du cardinal John Cardinal Onaiyekan, Archevêque d’Abuja.
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