Dans les locaux de l’Université Pontificale Grégorienne, à Rome, le P. Bruno Miyigbena a soutenu, le 29 novembre, sa thèse de doctorat en philosophie, sur le thème : Le sens de l’agir humain dans la pensée philosophique de Joseph de Finance et de Karol Wojtyła. Puis, je l’ai rencontré.
Pourquoi dites-vous Karol Wojtyła et non Jean-Paul II ?
Parce que c’est d’abord l’homme Karol Wojtyła qui est philosophe, et non Jean Paul II, qui est plutôt pasteur. Il était philosophe avant de devenir pape. Le jeune Abbé Wojtyła a été envoyé par son évêque pour poursuivre des études à l’université Jagellon de Cracovie, dans sa Pologne natale. Là, il s’est intéressé à Max Scheler et à sa méthode phénoménologique. Après quoi, pendant vingt-cinq ans, il a enseigné la philosophie et l’éthique à Lublin. C’est pendant ces années qu’il a rédigé deux ouvrages que j’ai longuement étudiés : Amour et responsabilité et Personne et acte. Ces deux ouvrages sont nés de sa rencontre avec les jeunes. Il recevait beaucoup de jeunes, qui venaient lui poser, non pas des questions sur la foi ou sur Dieu, mais sur la manière dont il fallait vivre pour être heureux. Ces deux ouvrages, ainsi que d’autres publications philosophiques de Karol Wojtyla, se trouvent réunis dans un volume de plus de 1 600 pages, qui a pour titre Metafisica della persona. Ce volume n’existe qu’en italien. Karol Wojtyła est un grand philosophe, qui mérite d’être connu.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’étudier ce philosophe-là, et pas un autre ?
En 1998, j’ai découvert son encyclique Veritatis splendor. Cette lecture a produit en moi le déclic. J’ai été ébloui par ce document lumineux. Dans cette lettre encyclique écrite en 1993, Karol Wojtyła, devenu le pape Jean-Paul II, s’efforce de répondre à la préoccupation du jeune homme riche au sujet du bonheur : il se demande ce qu’il faut faire pour avoir en héritage la vie éternelle… C’est ainsi que je me suis rendu compte que ma préoccupation rejoignait celle du jeune homme riche et de Jean-Paul II : celle de l’homme en quête de bonheur.
Vous avez aussi choisi d’étudier Joseph de Finance.
Je ne connaissais même pas ce nom quand je me suis inscrit à la Grégorienne ! C’est un jésuite, qui a longtemps enseigné la philosophie dans cette Université. Pendant un cours, on nous a parlé de sa pensée et de ses méthodes d’analyses anthropologiques. Ses idées présentaient pas mal de points communs avec celles de Wojtyła. J’ai lu deux de ses œuvres, Personne et valeur ainsi que l’Essai sur l’agir humain, comme ouvrages secondaires pour nourrir ma réflexion. J’ai alors décidé d’approfondir la connaissance de la pensée de ces deux philosophes.
Êtes-vous le premier à étudier ces philosophes ?
Non ! D’autres chercheurs les ont déjà étudiés, mais souvent sous des angles différents du mien. Par contre je suis le premier à les avoir unis dans une même étude. De même, je suis le premier à mettre en relief leur préoccupation relative au bonheur.
Durant votre soutenance, vous avez été amené à dire : « De Finance est plus métaphysicien, Wojtyła est plus phénoménologue ». Expliquez-nous cela.
La métaphysique, c’est la science qui permet de répondre aux derniers pourquoi. C’est la science des premiers principes, des causes premières. Sur ce terrain, de Finance est à son aise et fait des réflexions intéressantes. Wojtyła, quant à lui, suit la méthode phénoménologique de Max Scheler, il observe les choses telles qu’elles se présentent. Et il part de cette observation pour comprendre leur fondement ultime. Ses réflexions partent du vécu ordinaire de l’homme.
Que vous apporte une telle recherche… en plus d’un beau diplôme et d’un titre de docteur ?
Elle m’aide à me connaître moi-même ! Qui suis-je, et comment dois-je vivre pour être heureux ? Je dois vivre conformément à ma vraie nature. Je suis plus qu’un animal qui est guidé par ses instincts. Si je refuse la réalité de mon être, je ne pourrai pas être heureux. Je dois prendre conscience de mes limites, et agir en conséquence. Si je veux les ignorer, je me heurterai à la réalité. Mais cette étude m’aidera aussi à mieux accueillir et aider les autres. A découvrir quels sont mes préjugés qui m’empêchent d’accueillir leur pensée. Je veux recevoir leur questionnement et percevoir la nature de leur soif, de leur recherche de bonheur. J’espère éveiller chez eux le goût de se connaître, et de vivre conformément à leur être véritable. Je veux partager avec les autres mes découvertes. Je n’ai pas étudié pendant tout ce temps pour moi seul !
Pierre Trichet, sma
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