Nous avons eu la joie et le plaisir d’accueillir dans notre maison du 150 à Lyon, Mgr Pascal N’Koué de passage en France. Il nous parle de son pays et de son diocèse qui va fêter les 70 ans de la présence du premier curé à Parakou.
Le Bénin compte environ 10 millions d’habitants. Pour la campagne de reboisement du pays, il y avait ce slogan : “10 millions d’âmes pour 10 millions d’arbres”. Nous avons 10 diocèses dont trois sont en attente d’évêques et sont donc gérés par des administrateurs apostoliques. Nous sentons une différence entre les diocèses du sud comme Cotonou, Lokossa, Porto-Novo, Abomey, Dassa et les diocèses de la province ecclésiastique de Parakou : Parakou, N’Dali, Kandi, Djougou, Natitingou. On sent une différence parce que les Missions Africaines ont attendu 80 ans avant de monter dans le Nord où l’islam s’est installé par les commerçants ambulants. Cela était dû à l’administration coloniale qui les en empêchait. Certains disent qu’elle ne voulait pas que les Missions Africaines et les écoles se développent de crainte de voir les autochtones revendiquer leur droit d’être égaux aux français. En fait cela s’est produit, et l’on voit que les luttes pour les indépendances ont été initiées par ceux qui sont passés par les écoles. Aujourd’hui, l’Église catholique est en train d’avancer, même si nous n’avons pas de statistiques vraiment précises, nous évaluons à 25% environ les catholiques au Bénin. L’Église, dans ce pays, a une grande autorité morale.
L’âge d’or de l’évangélisation au Bénin
L’Église s’est vraiment implantée partout dans le pays. Aujourd’hui, nous voyons les Bariba, restés longtemps réfractaires, qui se mettent à construire eux-mêmes leurs églises. De plus en plus, Jésus-Christ les intéressent il en es de même pour les musulmans. Jusqu’à un passé récent, on ne voyait pas de fille musulmane épouser un chrétien ; on voit aujourd’hui des filles musulmanes suivre la catéchèse et épouser des chrétiens. Pourquoi un tel mouvement ? J’ai fait une petite étude, il ressort que le but principal d’une telle démarche, c’est qu’elles voient le christianisme comme une religion de libération. Certaines filles musulmanes ne veulent plus de la polygamie. Ce phénomène s’est développé parce que les filles ont eu accès à l’école. Beaucoup de filles musulmanes ont pu aller à l’école, la scolarisation étant gratuite pour les filles grâce en partie à la Banque Mondiale. Elles ont découvert une certaine libéralisation de leur statut de femmes et elles ne tiennent pas à l’abandonner. Les écoles catholiques ne sont pas subventionnées par l’état et sont donc un peu plus chères, mais comme les musulmans, de par le commerce, ont un pouvoir d’achat élevé, on trouve beaucoup de musulmanes dans nos écoles. Nourries de l’esprit chrétien, elles vont influencer les familles musulmanes.
Un futur séminaire diocésain à Parakou
Les vocations sacerdotales et religieuses sont en nette progression, même si l’on note un certain tassement du côté des noviciats féminins ; si bien que Parakou va ouvrir un séminaire diocésain dans un ou deux ans. J’envisage de construire un séminaire diocésain mais ouvert à tous les diocèses. Nous commencerons par la philosophie. Quand je parle des vocations en progression au Nord du pays, ce sont des vocations de gens originaires du nord et du sud, mais ces derniers sont nés et ont grandi dans le nord. Elles sont plus développées dans l’Atakora que dans le Borgou car les Bariba se sont convertis tardivement.
Autonomie de l’Eglise du Bénin
De plus en plus, l’Église du Bénin tend vers l’autofinancement, la mentalité de l’assistanat est en train de disparaître, les chrétiens prennent conscience qu’ils doivent subvenir à la vie de leur Église parce que la foi pousse à la liberté entière. Au Bénin, nous ne souffrons pas de fanatisme religieux entre l’islam et le christianisme. Ici, nous constatons plus de divisions à l’intérieur des groupes musulmans qu’entre l’islam et le christianisme.
Le baptême ne parle pas aussi fort que le sangJe n’ai aucun problème avec les musulmans et ceux-ci n’ont aucun problème avec moi. Les filles musulmanes qui épousent un chrétien ne provoquent pas de mouvement ou de réactions violentes vis-à-vis d’elles ou de l’Église, c’est assez révélateur. C’est pourquoi, il ne faut pas se laisser distraire pas certains médias qui cherchent à nous faire croire que l’opposition est entre les religions. Je dis non, chez nous, en Afrique noir, le sang parle encore plus fort que la religion. C’est-à-dire que l’ethnie est plus forte que la religions. Quelqu’un vengerait l’autre parce qu’il est de la même ethnie et non parce qu’il est de la même religion. Le baptême ne parle pas aussi fort que le sang. Quand on prend le cas du Mali, c’est un pays à 90% musulman, le combat était bien entre musulmans. Les islamistes se couvraient du manteau de la vraie religion pour accuser les autres de n’être pas de vrais musulmans. En fait le vrai problème était économique, les islamistes voulant s’emparer des richesses du pays et du pouvoir. Le vrai problème est matériel et financier. Les médias nous distraient et nous instrumentalisent. En Syrie, c’est la même problématique même si les chrétiens en paient durement les conséquences.
La pauvreté, un grand défiL’un des grands défis du Bénin et de l’Église c’est la pauvreté. Elle est souvent la conséquence du manque de vision de nos hommes politiques. Leurs priorités ne sont pas ciblées, le peuple n’est pas encouragé pour travailler. On nous fait croire que pour être quelqu’un et s’enrichir, il faut entrer en politique. Dans ce milieu, on a beaucoup d’argent en peu de temps et facilement. Les vraies solutions se trouvent dans le secteur primaire : l’agriculture et la transformation. L’Afrique a encore beaucoup de terres qui sont en train de passer aux mains des multinationales. Je ne vois pas un gouvernement qui ait encouragé la culture du mil, du sorgo ou du riz mais plutôt celle du coton. Et ce sont les multinationales qui en profitent au détriment des paysans. Aucun paysan ne s’est enrichi, il a pu tout au plus s’acheter un toit en tôle, ce qui n’est pas forcément meilleur. Ils sont souvent endettés, car les acheteurs tardent à payer la récolte. C’est un défi majeur : comment sortir de la précarité, de la misère ? Cela engendre d’autres misères, ce sont les familles qui sont disloquée et les femmes obligées à se vendre pour apporter un peu de nourriture à leurs enfants. Ce phénomène entraîne une multiplication des naissances et des maladies, elles ne sont pas suivies par un médecin. La pilule mal utilisée provoque l’effet inverse et l’on assiste à un boum de natalité dans un monde de grande pauvreté.
L’éducation, un autre grand défi
La scolarisation est aussi un grand défi car dans une telle situation de misère, elle ne peut se développer. L’Église a donc un grand rôle à jouer dans l’éducation. Même dans le primaire, l’enseignement laisse à désirer, les professeurs mal payés sont souvent en grève dans le public. Les enseignants n’ont pas toujours le niveau nécessaire. Les universités sont aussi un problème, car elles forment mais il n’y a pas de débouché, et le diplômé se retrouve chômeur.
70 ans de l’Église de ParakouNous sommes en train de préparer les 70 ans de la présence du premier curé résident à Parakou. Ce jubilée se clôturera en 2014. À cette occasion, nous voulons faire une évaluation, rendre grâce pour tout ce que les pères des Missions Africaines ont fait et ont apporté pour l’évangélisation, et nous voulons aussi élaborer des perspectives d’avenir. Nous voulons redynamiser l’évangélisation par le développement. C’est en améliorant les conditions de vie du monde rurale que nous ferons œuvre d’évangélisation avec la pastorale sociale et la caritas. À Parakou, il y a au moins 60% de musulmans, nous voulons les rejoindre à travers la Vierge Marie en construisant un sanctuaire marial. Par la vierge Marie, beaucoup de musulmans pourraient découvrir Jésus Christ. Nous désirons aussi lancer une nouvelle classe de prêtres, par la création d’un séminaire. Nous voulons que ce soit des prêtres diocésains “missionnaires”. Notre clergé est trop souvent enclin à se réfugier dans des endroits déjà bien installés, or nos zones rurales sont défavorisées. Sur les dix-huit paroisses, neuf sont en villes. Il faut que le rural soit mieux desservi. Cela suppose de lourds investissements, que ce soit la caritas dans le rural pour aider les jeunes agriculteurs à être fiers et à se fixer dans le village. Il faut les encourager à travailler au relèvement de leur famille dans leur village.
Le Christ nous a demandé : « Allez, de toutes les nations, annoncez, baptisez etc. Pourquoi donc, devant les musulmans, on se tait ? Malgré notre silence, de plus en plus viennent à Jésus Christ. C’est leur mouvement vers nous qui nous encourage à aller vers eux. Quand on me demande pourquoi construire encore un séminaire à Parakou ? Je réponds, d’abord parce qu’il n’y a plus de place dans les autres et qu’en plus, nous ne sommes pas dans le même contexte. Les Missions Africaines sont arrivées bien plus tard et donc les populations sont beaucoup moins christianisées que dans le Sud, et nous avons le phénomène de l’islam. Il nous faut donc former nos prêtres à un autre style de vie à l’image des missionnaires sma.
Nous avons une dévotion envers nos pères dans la foi, surtout nous les gens de l’Atakora, qui a avons côtoyé longtemps les pères des Missions Africaines. Je suis venu en pèlerinage à Lyon dans la maison de nos parents.
Propos recueillis par Gérard Sagnol, sma
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