Daniel Mellier, sma de la Province de Lyon est engagé dans le Mouvement du Nid pour l’accueil et l’accompagnement des prostituées de la région lyonnaise. Lors d’une soirée aux Missions Africaines, il nous a parlé de la situation des Africaines qu’ils rencontrent dans son travail.
En 2011, nous avons rencontré 750 personnes prostituées, en 2012 nous en avons rencontré environ 550, c’est moins car nous avons fait moins de sorties. Sur ce nombre, il faut savoir que 65 % sont d’origine africaine sub-saharienne, que l’on peut répartir en trois groupes. Il y a tout d’abord, le groupe francophone, représenté essentiellement par les Camerounaises, il y a un autre groupe important qui n’existait pas il y a quatre ou cinq années, c’est le groupe Equato-guinéen et enfin le troisième groupe, anglophone, composé à 98% de Nigérianes.
Qui sont ces personnes ?
Les Camerounaises, sont venues depuis plusieurs années, souvent seules, quelque fois accompagnées de leurs enfants. La plupart du temps elles laissent leurs enfants au pays dans leur famille, à leur grande sœurs, à leur maman, parfois au papa. Elles sont venues en France « pour se chercher » comme elles disent, pour trouver une autre vie, pour réussir quelque chose. Réussir quelque chose, c’est évidemment gagner de l’argent pour assurer leurs vieux jours au pays. Beaucoup d’entre elles construisent une maison au pays pour y loger la famille, la maman, les parents, les frères et sœurs et pour retrouver un lieu de vie confortable. Elles n’abandonnent pas l’idée de retourner chez elles. Cette aventure a un prix puisqu’elles viennent avec un visa de trois mois au bout desquels elles se retrouvent en situation illégale sans titre de séjour. Elles cherchent toutes à avoir un titre de séjour, c’est extrêmement difficile. Pour avoir un titre de séjour, venant de certaines régions, il faut avoir des motifs très précis. Or une personne qui quitte le Cameroun pour réussir économiquement, n’est pas un motif suffisant pour obtenir un titre de séjour. Au début, elles passent pas mal de temps et même d’années pour essayer d’obtenir un titre de séjour. Elles utilisent alors des moyens frauduleux, elles peuvent acheter leur titre de séjour ou bien falsifier un certain nombre de pièces d’identité. Certaines épousent un Européen. Je rencontre bon nombre de Camerounaises qui ont été mariée ou qui sont encore marié à un Français. Grâce à ce mariage, elles obtiennent un titre de séjour. Je ne veux pas dire par là qu’elles ne se marient que pour le titre de séjour. Je suis témoin de couples qui se maintiennent ou les époux s’entendent bien. Mais je témoigne d’un nombre probablement plus élevé de femmes qui ont connu le mariage avec un européen et qui sont aujourd’hui divorcées ou séparées. Il me semble que ces couples là on beaucoup de mal à tenir. Souvent, lorsqu’elles se marient, elles font venir leurs enfants d’Afrique. Il faut que le mari les accueille, il faut qu’ils s’entendent. Quelques fois et ce n’est pas rare, elles ont des enfants avec le mari français. Et puis ça casse, parce que le mari les abandonne et part avec une autre femme.
Elles se retrouvent très vite dans la prostitution
Hier, j’ai rencontré une Camerounaise, elle n’est pas toute jeune, elle a un premier fils de 25 ans, elle a une autre fille qui doit avoir 22-23 ans et une troisième qui en a treize. C’est une femme que je rencontre depuis plusieurs années, qui vit à Vienne. Elle a travaillé pendant longtemps comme vendeuse dans un supermarché, cela faisait trois ans qu’elle avait arrêté la prostitution. Elle a perdu son emploi, je l’ai retrouvée hier, elle a repris la prostitution. C’est une femme qui a eu trois enfants avec son mari français, celui-ci l’a abandonné car elle a donné naissance à une enfant handicapée mental. Cet homme lui a dit qu’il n’avait pas l’intention de vivre toute sa vie avec un enfant handicapé. Cette femme lutte et se bat pour élever ses trois enfants. De telles situations m’ont souvent été rapportées : des femmes abandonnées par leur compagnon. Ces femmes n’ont pas de bagages professionnels, elles ont fait de petites études, quelques unes sont arrivées jusqu’au bac et même au-delà, mais c’est assez rare. Elles arrivent en France, elles n’ont pas de formation, de métier, elles ne peuvent prétendre qu’à très peu de choses côté emploi. Il faut savoir que lorsqu’on est Africain, Africaines et que l’on a la peau noire, il n’est pas toujours facile de trouver du travail. Elles soulignent assez souvent cette situation. Elles se retrouvent très vite dans la prostitution parce qu’il faut vivre.
Quelques fois, elles se trouvent dans la prostitution tout en étant en couple, tout en ayant encore un mari. Elles nous disent que les maris français ne sont pas du tout prêts à supporter les frais de la famille en Afrique, or ces femmes se sentent liées à la famille restée là-bas, elles sont obligées d’aider la maman, les frères, les sœurs, ça demande beaucoup d’argent. La femme se sent donc obligée de trouver des ressources pour faire face à ces appels, à ces besoins, sans compter le projet de bâtir une maison au pays.
Il y a des personnes qui sont jeunes mais aussi des personnes qui sont âgées parmi elles. Il y a des mères de famille avec de grands enfants, c’est vrai, il arrive qu’elles aient eu leur premier enfant très tôt. De toutes jeunes filles-mères ont du mal à trouver un mari, elles laissent leurs enfants à la maman et elles partent à l’aventure.
Elles ont été les premières à perdre leur emploi
Les Équato-guinéennes que l’on rencontre ici sont des mères de famille souvent assez âgées, quarante – cinquante ans. Beaucoup sont grand-mères. Elles arrivent d’Espagne. Elles avaient quitté leur pays en ayant des enfants, même un mari mais s’étant séparées du conjoint pour s’installer en Espagne. Elles ont, pour la plupart, trouvé du travail dans ce pays comme femme de ménage, nounou ou vendeuse de petits commerces. Elles se sont donc installées en Espagne, quelque fois, elles ont acheté un appartement à crédit, certaines se sont établies maritalement en épousant un Espagnol et ont eu des enfants. La crise étant survenue en Espagne depuis deux ou trois ans, elles ont été les premières à perdre leur emploi et se sont retrouvées au chômage et très vite sans plus aucune ressources et doivent payer les études de leurs enfants. Elles sont donc venues en France se mettre à la prostitution. À côté d’elles, il y a de toutes jeunes femmes qui sont de plus en plus nombreuses depuis un an, un an et demi. C’est inquiétant car ça laisse supposer la mise en place d’un réseau qui organise ce trafic. J’ai appris par un ancien gendarme que ce trafic était organisé par des gitans espagnols.
Obligées de se prostituer pour survivre
Les Nigérianes sont dans une situation un peu particulière. Elles sont pratiquement toutes originaires de villages ou de toutes petites villes au Nigeria, elles appartiennent à des familles très très pauvres. Leur papa est décédé ou bien il a abandonné la famille, cette dernière vit sur les petits revenus de la maman qui fait du commerce. Au Nigeria des gens repèrent ces jeunes filles qui désirent s’en sortir pour aider la famille, ils leur promettent du travail, voire des études en Europe. Ces gens-là organisent le départ de ces jeunes filles. Ils prennent en charge la fabrication d’un faux passeport, règle le voyage et les amènent en Europe. Toutes ne viennent pas par avion, quelques unes remontent le désert, passent en Lybie et arrivent par l’Italie. Certaines sont arrivées par la Turquie et la Grèce, d’autres par l’Espagne et le Maroc. Le voyage peut alors durer des mois et des mois en voyageant sur des camions. Elles sont obligées déjà de se prostituer pour survivre et obtenir les laisser-passer.
La nouvelle est très surveillée
Elles arrivent en France, elles sont pilotées par ceux qui ont organisé leur voyage, ils les logent au départ. Dans les premières semaines, les premiers mois, ce sont les maquerelles, celles qu’elles appellent les « Mamas », qui les logent chez elles ou dans un appartement et les mettent sur le trottoir très très vite. C’est pour elles un véritable choc, elles ne s’attendaient pas à ça du tout, mais elles sont contraintes de le faire. La nouvelle est très surveillée au départ, la « mama » ou bien une autre, expérimentée et en France depuis plusieurs années, l’accompagne sur le trottoir, la surveille et la fille est obligée de lui remettre tout son argent à chaque fois qu’elle rentre à la maison. Plus tard, l’étau se desserre à mesure que la fille paie à la « mama » et elle peut ainsi acquérir un peu plus d’indépendance. Quand elles arrivent en France, on leur réclame une somme qui va de 40 000 à 50 000 euros, une fois cette somme payée, elles sont libres. Elles ont le droit de continuer à travailler pour elles si elles le veulent.
C’est une histoire qui est souvent inventée
Quand elles arrivent les proxénètes les orientent à Forum Réfugiés et leur font faire une demande de droit d’asile. On leur écrit leur histoire, ce ne sont pas elles qui racontent leur propre histoire, ce sont les « mamas » qui leur disent ce qu’elle doivent raconter. La plupart du temps, elles doivent payer quelqu’un qui va leur écrire leur histoire. C’est une histoire qui est souvent inventée du moins en partie inventée. Les réseaux de trafiquants connaissent les critères qui font accepter tel ou tel dossier par l’OFPRA. Ils connaissent les arguments qui vont faciliter l’octroi du titre de séjour. Elles vont donc raconter des histoires de persécutions entre musulmans et chrétiens qui existent par ailleurs dans lesquelles elles peuvent avoir été prises mais peut-être pas de manière aussi personnelle qu’elles le disent. Ou bien ce sont des histoires d’excisions ou de persécutions par une société secrète qui l’a élue après le décès d’une tante qui était prêtresse dans cette société. C’est des histoires comme celles-ci qui se répètent à longueur de récits. Tout n’est pas faux, mais ce sont souvent des motifs ou des raisons de persécution ou de malheur personnel qui ne sont pas pris en compte par l’OFPRA ; ce dernier refuse alors de donner l’asile au titre de réfugié.
Ce sont des sous-locations qui coûtent cher
Les procédures s’enchainent, après le refus de l’OFPRA, elles déposent un recours devant la cour national de droit d’asile. Là, elles reprennent l’histoire, elles essaient d’arranger, elles répliquent aux arguments de l’OFPRA. Une nouvelle procédure est en cours, pendant ce temps-là, la personne touche une allocation temporaire d’attente, elle touche environ 320 € par mois qui l’aide à payer son logement. Souvent ce sont des chambres qui sont sous-louées par des Africains qui louent eux-mêmes à des propriétaires. Ce sont des sous-locations qui coûtent cher. Avoir le droit de loger dans la chambre d’un appartement où vit déjà une petite famille avec des enfants coûte 300 €. Des fois, ces filles partagent, à deux, trois ou quatre, un même appartement qui leur est loué par une autre Nigériane ou par une Camerounaise. Chacune apporte sa quotte part, quand l’une ou l’autre ne peut plus payer alors elle est mise à la porte, c’est impitoyable. Les filles touchent cette allocation durant le temps de la procédure. Quand le recours débouche sur la négative alors l’allocation s’arrête, elles n’ont plus de ressources.
C’est une misère terrible et cette misère se multiplie
Il faut savoir qu’il y a quatre, cinq ans la prostitution leur rapportait de l’argent. En quelques mois, elles pouvaient verser des sommes importantes. Aujourd’hui, elles ont de plus en plus de difficulté à ramener de l’argent, elles ne trouvent plus grand-chose. Jeudi dernier, j’étais dehors, je voyais cette jeune Nigériane, arrivée en France avant l’hiver dernier qui me disait : « c’est le quatrième jour où je ne fais rien » ; c’est extrêmement dur. Quand on n’a plus rien, que l’on ne peut plus payer son logement, cela devient catastrophique, elles ne trouvent pas de copine qui accepte de les prendre chez elles. Elles ne peuvent plus se nourrir. J’en ai reçu une cet après-midi à la permanence, elle est enceinte de quatre mois, ça fait trois mois qu’elle couche à la gare au milieu des clochards. Elle n’a plus rien, elle n’est plus en prostitution, elle n’a plus d’argent et n’a pas pu payer sa part de logement, les autres locataires l’ont mise à la porte. Elle n’a pas de papier, elle est enceinte et à la rue. C’est une misère terrible et cette misère se multiplie. Il y a trois ou quatre ans elles trouvaient de l’argent dans la prostitution bien qu’elles n’aiment pas ça, ça les fatigue, ça les écœure, ça les dégoûte. Aujourd’hui elles sont obligées de passer des nuits entières pour trouver trois fois rien et encore quand elles sont en bonne santé. Si elles tombent malades, elles n’ont plus de recours, j’en connais plusieurs. Par exemple Jennifer qui a été opérée des organes génitaux, il y a deux ans maintenant, elle a été obligée de reprendre en partie son activité dans la rue pour pouvoir se loger.
On arrive à échanger sur Dieu
En ce qui concerne la vie de foi de ces personnes, je sais que les Camerounaises ont une pratique religieuse, certaines sont catholiques. Il n’est pas rare de voir une bible posée sur le tableau de bord de la camionnette, il n’est pas rare de voir un chapelet suspendu. On arrive à échanger sur Dieu, sur leur prière. Il y a une double vie, la vie en société apparemment normale avec des enfants qui vont à l’école, une vie sociale, une pratique religieuse, et la vie de la nuit. Mais de par leur situation, elles restent dans leur milieu camerounais, équato-guinéen ou nigérian, ainsi des Nigérianes qui sont en France depuis quatre ou cinq ans ne maîtrisent pas le français. Elles vivent une forme d’isolement.
propos recueillis par Gérard Sagnol
Laisser un commentaire