Le 19 janvier 2024, la Maison Internationale Missionnaire de Lyon (MIM) a orchestré une soirée exceptionnelle intitulée « Apéritif Théologique » au sein de la Salle Brésillac. Cette soirée était dédiée à des discussions approfondies sur le dialogue interreligieux entre le christianisme et l’islam. À la tête de cette réunion stimulante se trouvait le Professeur Michel YOUNES, Doyen de la Faculté de Théologie de l’Université Catholique de Lyon. Il a guidé les participants à travers une exploration éclairée de ce sujet crucial.
En tant que directeur du Centre d’Étude des Cultures et des Religions (CECR), fondateur et coordinateur général de PLURIEL, et directeur délégué de l’Unité de Recherche « Confluence Sciences et Humanité » de l’UCLy, le Professeur YOUNES a initié la réflexion en posant un cadre et en abordant les diverses approches du dialogue interreligieux.
Il a souligné l’évolution de la question de l’islam en France, passant d’une perspective centrée sur l’accueil des migrants il y a 20 ou 30 ans à une approche actuelle où les musulmans sont établis. Il a mis en lumière les changements sur le plan international et l’importance de considérer le contexte lorsqu’on aborde le dialogue interreligieux. Le Professeur YOUNES a invité les participants à réfléchir sur la manière dont leur regard peut s’ajuster à l’évolution de la société sans se laisser enfermer dans des préjugés.
Pour approfondir la discussion, le Professeur YOUNES a proposé une typologie basée sur les courants de pensée des islamologues, en s’inspirant notamment des travaux de George Anawati. Il a évoqué trois courants : le minimaliste, le maximaliste, et une voie médiane. Le Professeur YOUNES a invité les participants à réfléchir à l’applicabilité de ces courants 40 ans après.
En principe, le Professeur YOUNES a encouragé la réflexion sur ces approches et leurs applications actuelles, soulignant l’importance de tenir compte des différences et des similitudes tout en favorisant un dialogue respectueux et constructif entre les différentes communautés religieuses.
Il est fondamental de considérer les présupposés sous-jacents à cette discussion. On peut envisager que, au fond, nous partageons une même racine, que nous sommes des branches d’une même arbre, que le tronc est similaire, en fin de compte, il s’agit d’Abraham, de Dieu. Bien sûr, il existe des différenciations, mais ce sont des nuances d’appréciation. En observant tous les points communs, certains théologiens ont même affirmé que, fondamentalement, le Coran était une parole de Dieu, différente certes, mais une parole divine tout de même, capable de nourrir et de faire grandir les enfants dans la foi abrahamique.
Cette volonté de maximiser les points communs tout en minimisant les différences a conduit certains auteurs, dans un cadre semi-académique, à évoquer des concepts tels que la « double théophanie du Verbe », comme Paul Odalolio l’a développé. Il s’agit d’une approche qui diffère de l’exclusivisme préconciliaire, lequel excluait souvent les autres du projet salvifique de Dieu, donnant ainsi une image triomphaliste de l’Église.
Certains chrétiens adoptent une approche maximaliste, soulignant les points communs et s’engageant dans un dialogue profond pour mieux se connaître et puiser dans la richesse de l’autre en vue de se rapprocher de Dieu. Certains théologiens, tel que le soufi, considèrent même que la quintessence de l’islam s’exprime à travers le soufisme, créant ainsi une continuité entre la maison abrahamique et la sensibilité mystique.
Cependant, cette perspective maximaliste peut aussi susciter des critiques, notamment en ce qui concerne le prosélytisme agressif. Certains chrétiens, au contraire, cherchent un équilibre, une via media, reconnaissant les différences tout en cherchant des points de convergence, favorisant ainsi un dialogue respectueux.
Il est vrai que cette via media peut être perçue comme une voix molle par certains, critiquée tantôt pour ne pas être assez ferme, tantôt pour ne pas être assez souple. Cependant, elle cherche à sortir des extrêmes, évitant l’exclusion ou la relativisation excessive. Elle représente une recherche de l’entre-deux, prenant parfois le meilleur des deux positions et parfois subissant les critiques des deux côtés.
Dans cette analyse, il apparaît que la majorité des catholiques aujourd’hui semblent être dans cette voie, luttant parfois pour faire entendre leur voix dans un paysage où les extrêmes semblent dominer. L’enjeu des prochaines années semble être de donner une colonne vertébrale à cette position, pour qu’elle demeure une voix forte d’interpellation sans tomber dans des excès, tout en continuant à puiser le meilleur des deux positions.
Le Pape François, par ses appels constants au dialogue multiforme, encourage les chrétiens à éviter les excès et à mieux connaître l’islam pour ne pas tomber dans la naïveté, en tirant parti de toutes les expériences vécues et en évitant la sélection sélective d’expériences. Il souligne la nécessité d’une rencontre authentique, qui ne privilégie ni les succès ni les difficultés, mais qui permette une compréhension profonde et nuancée de la réalité plurielle dans laquelle l’Église évolue aujourd’hui.
Réagissant à cette réflexion, le père François du Penhoat, supérieur de la province de Lyon, a fait valoir que, compte tenu de son expérience en Afrique, ils ont navigué entre plusieurs courants sans se soucier d’établir une vie commune avec les musulmans. Ils cherchaient l’harmonie autant que possible, parfois à travers des discussions apologétiques de bas niveau. Il a souligné que pour eux, en France, c’est un monde vraiment étranger. Bien qu’ils reconnaissent sa présence, ils n’ont pas autant de contacts dans leurs villages. En Afrique, c’était une réalité quotidienne, et il exprime le besoin de continuer à promouvoir ces rencontres.
Le professeur Younes a répondu en soulignant que, dans le contexte immédiat du père François, où il y a peu de rencontres avec des musulmans, cela dépend fortement des quartiers et des milieux professionnels en France. Il a observé que dans certains milieux, il y a peu de contacts ou une faible représentativité, tandis que dans d’autres, c’est beaucoup plus important. Les contacts, autrefois fréquents, ont diminué, peut-être en raison d’un repli voulu ou des conséquences de l’ambiance politique globale. Certains responsables musulmans ont exprimé une forme de lassitude chez les musulmans et peut-être chez les chrétiens, attribuant cela à des attentes déçues et à un sentiment de désespoir.
Il a également mentionné des groupes à Lyon qui étaient actifs il y a quelques années mais qui sont maintenant en léthargie, avec des difficultés à trouver des sujets. Il a critiqué les premières rencontres où l’on parlait de sujets superficiels sans approfondir véritablement les questions qui pourraient donner lieu à une apologétique. Il a souligné l’importance de dépasser les attentes simplistes pour éviter les déceptions.
Le père Cesare Baldi, directeur de l’Institut pastoral d’études religieuses (IPER) de l’Université catholique de Lyon, a noté que le contexte influence considérablement en tant que chrétien. Il a souligné la nécessité de minimiser les points de désaccord et de maximiser les points communs, mais a également reconnu les difficultés et conflits qui peuvent survenir, influencés par différents contextes.
Michel Younes a réagi en soulignant comment les perceptions peuvent être influencées par des stéréotypes et des généralisations basées sur le comportement de quelques individus. Il a mis en garde contre la tendance à associer des comportements individuels négatifs à une communauté entière, soulignant que cela peut conduire à la stigmatisation et à la division sociale.
Il a ensuite évoqué la question de la lassitude et du repli, notant que certains peuvent être découragés par des attentes non réalisées. Il a souligné l’importance de maintenir le dialogue malgré les difficultés, citant le pape François qui a posé la question de ce que deviendrait le monde sans dialogue.
Enfin, il a abordé la complexité du dialogue, soulignant qu’il va au-delà de simples rencontres et nécessite une compréhension plus profonde des expériences de vie de chacun. Il a évoqué la responsabilité individuelle dans le dialogue et la nécessité de reconnaître au moins un minimum de dignité et de reconnaissance mutuelle pour que le dialogue soit possible.
Michel Cartateguy, ancien archevêque de Niamey-Niger et actuel conseiller de la province de Lyon, a souligné que, contrairement au modèle proposé qui privilégie le dialogue, il a privilégié la rencontre plutôt que le dialogue. Selon lui, le dialogue trouve sa voix dans le face à face, où la connaissance mutuelle s’établit, favorisant ainsi un terrain propice au dialogue. Il insiste sur le fait que travailler ensemble, partager un même horizon, renforce les liens et la compréhension mutuelle.
Il partage une anecdote d’un sage africain qui souligne l’importance de la fraternité quotidienne. Il met en garde contre le risque de débats passionnés évoluant vers des conflits, soulignant que certaines conceptions peuvent légitimer la violence envers l’autre si elles ne sont pas remises en question.
Répondant à Cartateguy, Professeur YOUNES note que la rencontre et le dialogue ne s’opposent pas, mais plutôt se différencient à différents niveaux. Il mentionne quatre dimensions du dialogue : la rencontre quotidienne, le dialogue en vue d’une action, le dialogue théologique et le dialogue de partage spirituel. Bien que la rencontre soit cruciale, il estime que, de par son expérience, elle ne suffit pas face à des tensions fondamentales.
Il évoque l’expérience libanaise pour illustrer son point de vue, soulignant que des situations de tension peuvent surgir même dans des contextes apparemment harmonieux. Il souligne la nécessité de revoir certaines conceptions et de se préparer ensemble pour faire face à des situations difficiles.
Il a mis en garde contre la notion de fraternité, soulignant qu’une fraternité non affinée peut conduire à des fragilités, et qu’une approche dynamique du dialogue est essentielle. Il partage son point de vue selon lequel l’Église catholique, qu’elle soit majoritaire ou minoritaire, a dans son ADN la nécessité du dialogue. Il insiste sur l’importance de rester fidèle à cette vocation théologique et souligne la responsabilité d’enseigner aux enfants à éviter les jugements excessifs au nom de la foi.
En conclusion, Professeur Younes à proposé un livre sur les religions à l’épreuve de la liberté d’expression, soulignant que le dialogue exige des pas de part et d’autre pour créer un équilibre du déséquilibre réciproque.
Dans le contexte du dialogue interreligieux en France, une récente étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) offre des perspectives significatives sur l’évolution du paysage religieux métropolitain. Pour la période 2019-2020, 51% des individus âgés de 18 à 59 ans déclarent ne pas avoir d’affiliation religieuse. Cette tendance à la désaffiliation religieuse s’est accrue de manière constante au cours de la dernière décennie, touchant notamment 58% des personnes sans antécédents migratoires, 19% des immigrants arrivés après l’âge de 16 ans et 26% des individus ayant deux parents immigrants.
Bien que le catholicisme demeure la religion dominante, avec 29% de la population s’identifiant comme catholique, l’islam consolide sa position en tant que deuxième plus grande religion en France, avec 10%. On observe également une augmentation notable du nombre d’individus s’identifiant à d’autres confessions chrétiennes, atteignant 9%. La fréquence et l’intensité de la pratique religieuse varient selon les affiliations, avec seulement 8% des catholiques fréquentant régulièrement un lieu de culte, contre un peu plus de 20% pour les autres chrétiens, les musulmans et les bouddhistes, ainsi que 34% pour les juifs.
Le paysage religieux à long terme est fortement influencé par les processus de transmission intergénérationnelle. L’étude révèle que 91% des individus élevés dans une famille musulmane continuent de pratiquer la religion de leurs parents. Un schéma similaire est observé chez les Juifs, avec 84% suivant la religion de leur éducation. Cependant, la transmission de l’affiliation religieuse est légèrement moins marquée chez les catholiques (67%) et les autres chrétiens (69%).
Ces conclusions éclairent les dynamiques changeantes de l’identité et de la pratique religieuses en France, mettant en évidence non seulement la tendance croissante à la désaffiliation, mais aussi les modèles diversifiés d’observance au sein des différentes traditions religieuses. Alors que le pays connaît des changements démographiques et culturels significatifs, la compréhension de ces tendances est cruciale pour saisir la complexité de la vie religieuse dans la société française contemporaine.
L’événement « Apéro théologique » du MIM a ainsi ouvert des portes vers une compréhension plus profonde et nuancée du dialogue interreligieux, transcendant les frontières théologiques pour créer un espace de rencontre, de réflexion et d’enrichissement mutuel.
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