À travers toute l’Afrique, la dévotion à la Vierge Marie fleurit avec une vitalité remarquable. Elle est vénérée comme une mère, une compagne dans les épreuves de la vie et une intercesseure qui n’abandonne jamais ses enfants. Sa présence orne les foyers, les grottes paroissiales et même les petits autels au bord des routes, autant de signes d’une foi intimement tissée dans la vie et la spiritualité africaines.
Cependant, cette dévotion mariale si sincère peut parfois s’exprimer d’une manière qui risque d’en obscurcir le sens christocentrique. Il arrive que des pratiques destinées à honorer Marie finissent par estomper la primauté de son Fils. Il n’est par exemple pas rare de voir certains fidèles à la grotte récitants le chapelet pendant que la messe est célébrée, persuadés que l’intercession de Marie est plus immédiate que la participation au Sacrifice de son Fils. D’autres, dans un élan de reconnaissance, disent à moitié en plaisantant : « Ce que Marie a fait pour moi, Jésus ne l’a pas fait ! » De telles expressions, bien qu’empreintes d’affection, révèlent une certaine confusion quant à la véritable place de Marie dans le mystère du salut.
Le récent document de l’Église, Mater Populi Fidelis, publié par le Dicastère pour la Doctrine de la Foi, répond clairement à ces préoccupations.
Dans cette nouvelle note doctrinale, le Dicastère réaffirme les titres traditionnels de la Vierge Marie : Mère de Dieu, Vierge bénie, Immaculée et Mère spirituelle intercédant pour tous les fidèles, tout en décourageant l’usage de deux appellations, « Co-rédemptrice » et « Médiatrice de toutes grâces », qui pourraient obscurcir le rôle unique du Christ dans l’œuvre du salut.
Concernant le titre « Médiatrice de toutes grâces », le document explique :
« Aucun être humain, pas même les apôtres ou la Très Sainte Vierge, ne peut agir en tant que dispensateur universel de la grâce. Seul Dieu peut donner la grâce et Il le fait à travers l’humanité du Christ, car « la plénitude de la grâce du Christ homme est celle du Fils unique du Père ». Bien que la Sainte Vierge Marie soit éminemment “pleine de grâce” et “Mère de Dieu”, elle est, comme nous, fille adoptive du Père et aussi, comme l’écrit le poète Dante Alighieri, « fille de ton Fils ». Elle coopère à l’économie du salut par une participation dérivée et subordonnée; par conséquent, tout langage concernant sa “médiation” dans la grâce doit être compris par lointaine analogie avec le Christ et sa médiation unique » (Mater Populi Fidelis, §53)
De même, le titre « Co-rédemptrice », bien qu’apparue au XVe siècle pour honorer les douleurs de Marie au Calvaire, est également déconseillé. Certains papes, dont Pie XI et saint Jean-Paul II, l’ont utilisé de manière poétique pour exprimer sa profonde union à la Passion du Christ. Toutefois, l’Église, tout en vénérant profondément la coopération unique de Marie dans le salut, s’est toujours abstenue de définir ce titre de manière dogmatique.
En 1996 déjà, l’alors cardinal Joseph Ratzinger avait rejeté une pétition visant à proclamer les titres de « Co rédemptrice » et « Médiatrice de toutes grâces » comme dogmes mariaux. Il expliquait plus tard que ces termes risquaient d’être mal compris et étaient « trop éloignés du langage de l’Écriture et de la patristique » (§19).
Mater Populi Fidelis confirme cette même position :
« Compte tenu de la nécessité d’expliquer le rôle subordonné de Marie au Christ dans l’œuvre de la Rédemption, l’utilisation du titre de Co-rédemptrice pour définir la coopération de Marie est toujours inopportune. » (§22)
Le titre Co-rédemptrice comporte donc le risque d’éclipser le rôle exclusif de Jésus-Christ dans le salut. (§22)
« Tout procède de Lui ». (§19)
Ainsi, l’Église réaffirme que Jésus-Christ seul est Rédempteur ; la coopération de Marie, bien que réelle et profonde, demeure entièrement subordonnée et dépendante de Lui. « L’œuvre rédemptrice a été parfaite et n’a besoin d’aucun ajout. … Le Christ « est l’unique Rédempteur : il n’y a pas de co-rédempteurs avec le Christ. » » (§21)
Dans le contexte africain, où la maternité, la médiation et la solidarité communautaire sont des valeurs profondément enracinées, le rôle maternel de Marie parle naturellement au cœur. Elle reflète la compassion de la mère qui souffre avec ses enfants, la force de la femme qui porte les fardeaux de la famille et l’intercession de celle qui ne cesse de plaider pour les siens. En elle, les catholiques « africains » reconnaissent l’image de toute mère qui écoute, console et demeure ferme dans l’espérance.
Et c’est précisément dans cette expérience de l’amour maternel que Marie accomplit sa mission la plus profonde : conduire ses enfants à son Fils. Ses propres paroles : « Mon âme exalte le Seigneur », nous rappellent que chaque acte authentique de dévotion envers elle ramène à Jésus. Chaque chapelet récité, chaque chant entonné en son honneur doit, en définitive, conduire les fidèles plus près de l’Eucharistie, cœur vivant de notre foi, où le Rédempteur lui-même est réellement présent.
C’est dans cet esprit que l’Église encourage la dévotion mariale (§80). Elle ne cherche pas à la rendre plus faible ou plus discrète, mais à la purifier et à l’orienter correctement ; la rendant plus vraie et plus centrée sur le Christ, gardant Marie à sa juste et magnifique place : celle de la Mère qui conduit toujours ses enfants vers son Fils.
Pour les catholiques d’Afrique et du monde entier, cet enseignement n’est pas un reproche, mais une invitation ; une invitation à aimer Marie plus profondément et plus authentiquement, comme la Mère qui mène infailliblement ses enfants à Jésus. Sa grandeur ne réside pas dans la compétition avec Lui, mais dans le fait de le désigner du doigt.
En la suivant, l’Église « d’Afrique » apprend à nouveau à centrer sa joie, sa souffrance et son espérance sur le Christ seul, l’unique Rédempteur qui a vaincu le péché et la mort pour toujours.
Brice Ulrich AFFERI






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